Après s'être élevé le mois dernier contre la chasse aux sorcières et les méthodes employées pour contrer le téléchargement de masse d'albums entiers, MW s'interroge ce mois-ci sur l'évolution qu'internet a pu apporter à notre façon de "consommer" de la musique.
En effet, la lecture de l'edito du mois d'avril m'a amené à une réflexion toute simple : la difficulté considérable que les plus âgés d'entre nous avaient à se procurer leur graal musical de la façon la plus fréquente possible est devenue anecdotique depuis qu'internet s'en est mêlé.
Je parle aujourd'hui aux plus jeunes d'entre nous pour leur expliquer l'enfer qu'était notre vie avant l'arrivée d'internet.
Avant ces temps bénis, il fallait acheter un album pour pouvoir l'écouter ou avoir un ami pas trop loin de chez soi qui avait acheté l'album en question. Si cet album nous plaisait, deux solutions s'offraient à nous : l'acheter aussi ou, action honteuse, le pirater. Et comment piratait-on avant internet ? Avec des cassettes audio qui permettaient de diviser par 6 le prix de revient de chaque album. On avait honte, certes, mais on avait 6 albums au lieu d'un.
Oui, c'était l'enfer car à ce rythme, l'ado que j'étais pouvait peut-être découvrir une vingtaine d'albums par an, soit approximativement deux par mois.
A ce prix-là, comment un nouvel album était-il reçu ?
Avec toute l'attention qu'il méritait.
Je me souviens personnellement du premier album de hard que j'ai eu entre les mains : Black Sabbath - Heaven And Hell.
Mon premier album de rock progressif : Mike Oldfield - Tubular Bells.
Ces albums, je les ai écoutés jusqu'à en connaître chaque note, chaque intonation de voix, chaque claquement de baguette sur la caisse claire. Je les ai regardés jusqu'à connaître chaque détail de leur pochette.
Pas d'internet signifiait pas de surconsommation de musique. Et derrière tout cela se déroulaient de grandes discussions, à propos par exemple du dernier album de Metallica qui révolutionnait à l'époque le hard ; des discussions qui pouvaient durer plusieurs semaines jusqu'à ce qu'un autre album intéressant fasse enfin de l'ombre au sujet du moment.
Sans la possibilité de se procurer de chez soi des dizaines d'albums, chaque découverte était appréciée à sa juste valeur et seule l'envie de passer à autre chose pouvait détrôner un album de son statut de "bombe du moment".
Puis internet est arrivé et a radicalement modifié notre relation à cette passion.
J'en vois déjà se dire que le quadragénaire de service va nous la jouer "de mon temps, on savait vivre, bande de graine de blousons noirs !". Mais détrompez-vous, je suis bien heureux de bénéficier de cette orgie de musique qu'internet me propose depuis quelques années, ce serait hypocrite de ma part de le nier.
En effet, comment croyez-vous que nous soyons rétribués, nous pauvres chroniqueurs que nous sommes ?
Notre rétribution unique réside dans les albums promo que nous recevons pour les chroniquer sur votre site favori. Loin de moi, donc, l'envie de regretter l'apparition d'internet, là n'est pas le propos.
Je me suis en revanche livré à un petit calcul tout simple sur mon propre cas : durant mars et avril, MW a reçu une centaine d'albums à chroniquer. Cela signifie que j'ai personnellement eu la possibilité de découvrir durant ces deux derniers mois autant d'albums que sur 5 ans de ma vie d'ado.
Mon comportement ne peut pas être le même dans ces circonstances et je dois me rendre à l'évidence : aujourd'hui, un bon album qui passe dans mes mains reste dans ma mémoire une semaine ou deux.
S'il est réellement excellentissime, il reviendra de temps en temps (c'est-à-dire si je n'ai rien de vraiment génial à me mettre dans les oreilles) ; sinon, il rejoindra le bataillon des bons albums poussiéreux que je ne sors que pour les faire découvrir éventuellement à un ami qui ne connaîtrait pas.
Alors, la naissance d'internet annonce-t-elle la mort des mélomanes qui connaissent réellement leur sujet ?
Rien n'est moins certain à mon avis car s'il y a bien un effet positif indiscutable de cette facilité d'accès à la musique, c'est la possibilité qu'ont eu de nombreux groupes d'acquérir un réel statut de musiciens reconnus.
Je n'ose imaginer le nombre de groupes qui n'existeraient pas aujourd'hui si leur renommée n'avait pu être acquise que par le seul biais des disquaires.
A l'inverse, combien de petits groupes dissous dans les années 70's faute de fans auraient pu continuer leur carrière s'ils avaient bénéficié d'une vitrine leur permettant de faire écouter, et éventuellement critiquer, leur musique à l'autre bout de la terre ?
Comme dans de nombreux autres domaines, la culture de l'abondance a atteint le domaine des arts, et en particulier celui de la musique. Même si cela n'est pas légal, il faut se rendre à l'évidence : le mélomane du 21ème siècle a désormais les moyens d'être un collectionneur compulsif.
Saura-t-il utiliser cette possibilité dans son propre intérêt ? Il est certainement trop tôt pour le dire tant l'attrait de la nouveauté pousse à l'excès.
Mais à l'image de Torpedo qui se voulait positif sur l'évolution des mentalités d'ici quelques années, je pense également qu'il faut faire confiance dans la passion et non dans des comportements de masse. Le mélomane recherche le frisson. Et ce frisson, il ne l'obtient qu'au bout d'une réelle découverte, une découverte contruite avec le temps et menée au prix d'un effort sur une oeuvre. Les contraintes économiques n'ont aucun poids dans ce contexte et l'avenir nous démontrera, j'en suis persuadé, que notre but reste dans le choix limité des oeuvres qui nous touchent réellement.
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