DIEU EST UN ESCROC, MAIS PAS CHRISTIAN DÉCAMPS !

A peine trois heures avant le début du show de son groupe, Christian Décamps, leader d'Ange, va se prêter au jeu des questions pendant près d'une heure.
Après une petite présentation de Music Waves, j'attaque l'interview.

MW : J'ai découvert Ange en Juillet 72 alors que vous assuriez la première partie de Johnny Hallyday sur la tournée du Johnny Circus. Est-ce un bon souvenir ? Est-ce que cette tournée a été un élément déterminant pour le démarrage du groupe ?

ChD : Ah oui ! ça a été décisif ... Il (Johnny) n'avait pas de chance à cette époque là, il le dit lui même d'ailleurs ... il était sur une pente un peu descendante, et nous on en a profité, inconsciemment, pour s'installer. L'équipe qui était autour d'Hallyday pensait qu'on ne tiendrait que 3 jours avec la musique qu'on faisait, mais c'était sans compter sur ce qui se passait dans le monde musical à cette époque là, où ils étaient - comme toujours le parisianisme c'est le plus vieux métier du monde et ils sont loin, très loin derrière la réalité des choses - et ils se sont pris une bonne petite claque. Et nous, ça nous a permis de nous faire connaître. Et je le remercie Hallyday parce que c'est un mec que j'ai croisé et avec qui j'ai pu discuter pendant la tournée. C'est un type qui est intéressant quand il n'est pas entouré par sa meute. Je me suis trouvé seul avec lui pendant trois quarts d'heure, on a parlé de cinéma, on a parlé de plein de choses. Il n'avait plus envie, il me l'a dit lui-même, de s'appeler Johnny Hallyday. Il trouvait ça ringard d'avoir un nom américain. Par la force des choses, il a été obligé de le garder mais il voulait faire un groupe comme nous qu'il voulait appeler Smet ... Après il a été relancé et repris en main parce qu'il a rapporté beaucoup, parce que c'est quand même un citron pour Philips Universal et toute la clique ... Aujourd'hui c'est la dernière idole vivante.

MW : Un certain nombre des fans de la première heure semble avoir lâché le groupe dans les années 90, avez-vous ressenti cette désaffection de votre public ? Y'a-t-il eu, selon toi, un période creuse dans la carrière du groupe ?

ChD : Comme tout artiste ... Ange a été, je pense, un phénomène social à cette époque là. Les gamins écrivaient sur leurs sacs marocains Ange ou Magma .. tous les noms des groupes qui les branchaient à l'époque ... comme toute génération, ils sont venus 5 ou 6 milles voir Ange dans les concerts en 77 ... Mais ces gens-là, ils n'ont pas lâché Ange ! Ils ont changé leur vie ... beaucoup ont fait ce qu'ils ne voulaient pas faire, faire comme leurs parents ... Et le problème, c'est qu'ils ont fait comme leur parents : ils ont fait des gosses, ils se sont mariés, ils ont enterré leur vie de garçons ou de jeunes filles, ils ont fait le cinéma et puis ils ont divorcé. Et on les retrouve 20 années plus tard .. Tu vois, je peux raconter l'histoire des gens qui se sont détournés du groupe. Je ne crois pas que l'évolution de la musique d'Ange soit un facteur déterminant dans la perte d'un potentiel de public. Par rapport à un fan des années 70 qui s'est détourné, comme tu dis, moi je n'ai pas changé, yé travaille touyours sour le même chantier (avec l'accent de Julio), et je suis toujours le chanteur de Ange et je continue à faire ce que j'ai envie : créer et avancer.
Il ne faut pas que le public se voile la face. C'est le public qui fait que l'artiste existe. L'artiste doit être généreux pour son public ... Moi je suis un anti-nostalgique, un anti tout ce qu'on veut. Ce qui m'importe c'est d'avancer, de jouir du futur. Le public n'est pas comme ça. Il est devenu ce qu'il ne voulait pas devenir. La plupart de mecs qui fumaient des pétards, qui dormaient dans des sacs de couchage dans les festivals, qui voulaient changer le monde, ils ont disparus !
Pour en revenir à ta question (merci Christian !) le public s'est détourné de lui-même parce qu'il a vécu sa vie ... Mais les fans, que ce soient ceux d'Ange, de Frank Alamo ou de Lucky Blondo, aiment bien dire : "t'as vu comme il a changé !!", ils regardent l'idole de leur jeunesse et ils disent "t'as vu comme il est !", ils ne se voient pas, eux ... Le peuple ne se voit pas, le public ne se voit pas ... Les miroirs ne leur servent que pour essayer des produits que la pub leur injecte à doses vicieuses ... Ils ont un coté un peu nostalgique, et quand il voit que ce qu'ils aimaient change, ils partent en javel et ils disent "c'est plus comme avant", mais c'est eux qui ne sont plus comme avant !

MW : Après avoir fait partie des "lâcheurs", j'ai redécouvert Ange en 2002 avec LE concert du Zénith.

ChD : Ca a été une belle aventure !!

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MW : N'était-ce pas une sorte de renaissance d'Ange ??

ChD : Non, non, c'était une continuité ... Ange est éternel ... il n'est pas né et ne meurt pas. Un ange est éternel ! L'éternité c'est ça ... Il n'y a pas de commencement ni de fin.

MW : Mais est-ce que le public semblait revenir en nombre ?

ChD : Ils n'ont qu'à faire comme moi ... moi, ça fait deux fois que je divorce, j'emmerde personne ! Je continue de faire des disques ! (ChD rit de son bon mot !!).
On se bat pour chanter devant les gens. On leur dit qu'on est là pour chanter, qu'on est capable du meilleur comme du pire, mais on fait ce qu'Ange à toujours fait, son art sur scène. Et il le peut grâce à des gens qui organisent des concerts, qui se mouillent, qui prennent des risques. Et tout le monde dans le domaine artistique prend de risques maintenant. Mais Ange n'a rien d'exceptionnel quand à la désaffection de son public des années 70, je l'ai déjà expliqué tout à l'heure longuement, ces gens ont vécu autrement, je ne leur jette pas la pierre … Pierre !

MW : Y a-t-il une période, un line-up qui t'ait laissé un meilleur souvenir que les autres ?

ChD : J'ai pas le coté performance, ça ne m'intéresse pas, pour dire qui est le meilleur ou quel est le meilleur album. Si tu me poses la question, je te répondrai le prochain.
Comme on est capable du plus comme du moins, je pense que la carrière d'Ange c'est 60% de positif et 40% de négatif. Mais les line-up, le personnel naviguant, J'ai aimé commencer avec ... les racines - je compare souvent la carrière d'Ange à un arbre - sans ses racines un arbre n'est rien, mais sans ses fleurs et sans ses bourgeons non plus. Je hais les nostalgiques dans ce sens où ils coupent à la souche, y'a plus d'arbre, il reste plus que des racines qui sont mortes. Et on est là à dire "Ah ! il était quand même bien cet arbre !". Attention, je ne renie pas le passé, les racines forcent le respect, mais on ne peut pas rester que sur les racines. C'est idiot, ça ne ressemble à rien, c'est pas une vie ... On ne peut pas parler d'aimer la vie, d'aimer l'amour, l'amitié, en regardant derrière soi et en disant "mon dieu que c'était bien à cette époque là ! c'était le bon vieux temps !" et "Bonjour mon ami, je suis un fan de la première heure", très bien ! je l'entends tous les jours, mais j'en veux pas. Y'aura pas de fan de la dernière heure ... parce qu'il n'y pas de dernière heure, ça continue. Moi, une fois que je décède, ça peut continuer le truc, j'en saurai rien ! Je sais pas, mais j'espère qu'il va continuer. Ange c'est patrimoine musical qui voyage dans le temps. On a traversé les périodes avec et les périodes sans, les tracas financiers et de tout ordre ... Moi aussi j'ai parfois eu envie de tout lâcher, et puis il y a toujours un truc qui fait que tu continues. Tu as envie de faire quelque chose, une vidange tous les 40 ... tous les 40 ans !
Mais je n'ai pas répondu à ta question ... J'ai aimé l'équipe du début avec qui j'ai fait "Au delà du délire" et tout ça, mais la formation actuelle est celle avec qui j'ai le plus travaillé.

MW : Pourquoi avoir autant attendu pour sortir ce "Zénith AN II" ?

ChD : Parce qu'il fallait trouver le financement et le label et puis c'est bien que ça soit sorti à ce moment là ..

MW : Ange a des disques produits et/ou distribués par Muséa et d'autres par UPDLM. N'est-ce pas un peu compliqué ?

ChD : C’est parce qu'on se débrouille, on vit un peu en autarcie. J'ai plein d'amis dans ce métier. Je préfère sortir mes disques sur des petits labels indépendants que d'être la dernière roue de la charrette dans une major.

MW : La dernière fois que j'ai vu Ange c'était au théâtre Montansier de Versailles, Il y a quelques temps vous étiez au Spirit en Belgique, ce soir c'est la Loco ... Il y a-t-il des salles que tu trouves plus magiques que d'autres ?

ChD : La Loco ... on doit y avoir jouer deux fois ... le métier parisien traite le provincial de ringard, de plouc, mais, en fait, il n'y a pas plus ringard que ces lieux là. La Locomotive est très ringard ! Je suis désolé de le dire. Autant qu'un club en province avec une scène. Cela dit, c'est un lieu qui sonne bien, mais l'aspect est dépassé, obsolète. Et il y a plein de salles comme ça. Et heureusement qu'il y a des gens comme Prog La Vie pour utiliser ces salles pour faire des concerts. Les propriétaires des ces lieux pourraient faire quelque chose, à peu de frais, recadrer ... Mais à Paris je trouve ce coté rétrograde, ringard, qu'il n'y a pas en province, je suis désolé. Comme disait Dany Boon - moi je l'avais dit quelque années plus tôt - "Au delà des périphériques extérieurs il y a une vie". Il faudrait qu'ils y pensent, qu'il y a des gens qui vivent aussi de l'autre coté, qui font des choses, qui existent. Paris n'est pas la France, Paris est une ville, une grande ville, point barre !
Mais j'ai rien contre être ici !
Tu me parlais du théâtre à Versailles .. c'est vrai que ça c'est une belle salle ...

MW : Petite question d'un des mes collègues de MW : est-ce que, comme Molière, tu voudrais mourir sur scène ?

ChD : Il faut demander à la scène !! Si je dois mourir, j'espère que c'est le plus loin possible, parce c'est du temps de création en plus et que c'est une jouissance pour moi, mais j'ai pas peur de la mort. J'ai appris ce que c'était quand mon père est mort à l'âge de 66 ans. J'ai touché son front. C'était comme un caillou d'un torrent. Comme il m'a appris à faire du vélo et à nager, il m'a appris à mourir. Après, on a plus peur, on dit oui c'est ça, on ne revient plus. Le corps, l'enveloppe, c'est fini ... pour le reste , je ne sais pas .. les 21 grammes qui s'en vont ... Mourir sur scène ? Pourquoi pas ? Mais je ne suis pas Dalida ... parce qu'il y a eu Molière, mais il y a eu aussi Dalida qui voulait mourir sur scène ...

MW : Avec le formation actuelle, le son d'Ange est plus rock ...

ChD : Oui ... c'est une façon de jouer ensemble qui va bien ...

MW : Est-ce que ça amené un public plus jeune ?

ChD : C'est pas étudié pour ... peut-être un peu ... mais je ne sais pas, franchement ... Si ça se trouve, le prochain show sera beaucoup plus soft au milieu et plus rock aux extrémités ou, au contraire, démarrer plus calme et être très très fou au milieu. On ne sait pas ...

MW : Que penses-tu des activités des anciens d'Ange, comme ton frère Francis ?

ChD : Il a une activité avec un groupe, Gens de la Lune, avec Jelsch le premier batteur. C'est une bonne idée, c'est bien ... Je cautionne totalement. On a joué 25 ans ensemble, on a fait des belles choses ensemble et je crois qu'il était temps qu'on s'arrête. On n'avait plus du tout les mêmes objectifs. Je ne crois pas que si il était resté avec Ange, j'aurais fait ce que j'ai fait avec les autres. Il y avait une chose qui coinçait avec lui, le fait qu'il est peur de l'inconnu. C'était un membre du groupe originel qui vieillissait mal dans ce sens qu'il tuait l'enfant qui était en lui, il était trop adulte. On ne peut pas raisonner comme un adulte quand on est un artiste. Si on fait ça, on tue l'artiste, on ne prend plus de risque. C'est pas pour ça que j'ai fait de la musique il y a 40 ans. Sinon je serais resté dans un bureau à faire du transport, c'était mon premier métier ... J'ai voulu faire ça parce qu'il y a création et c'est ce qu'il y a de plus jouissif. C'est pas le fait de travailler pour faire l'album, qui est plutôt une épreuve. Le jouissif, c'est le moment où tu créés le morceau et le moment où tu le donnes.

MW : J'ai lu sur Amarokprog que tu avais rencontré Steve Wilson et que tu aimais bien Porcupine Tree ...

ChD : C'est un ami ...

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MW : Par ailleurs un collègue de MW a demander au leader du groupe Opeth si il connaissait des groupes français et il a cité Ange (entre Magma et The Old Dead Tree !). Est-ce flatteur d'être cité par de tels groupes ?

ChD : Mais Ange a une renommée internationale. On a joué un peu partout. On se connaît tous les uns les autres. Steven Wilson dit que la musique d'Ange fait partie de ses inspirations, il ne le nie pas. Il m'a même volé le thème d'introduction de "Les lorgnons" qu'il a utilisé sur un titre de "Signify". Il me l'a avoué, il m'a dit qu'il pensait que le groupe n'existait plus et le truc lui plaisait.

MW : Question d'un ami breton : Tu as collaboré à Rockstyle, il y a quelques années, et tu as écrit de bonnes chose au sujet de Red Cardell et de son troisième album. Aujourd'hui il sorte leur dixième album, un CD de reprises de leur titres par des artistes invités. As-tu suivi la carrière de ce groupe et quel titre de Red Cardell Ange aurait pu interprété ?

ChD : Pas vraiment .. je n'ai pas reçu leurs derniers albums ... J'avais eu l'occasion de les voir et j'aimais beaucoup ce qu'ils faisaient. On a eu un petit problème avec eux, une fois, dans un concert commun. L'accordéoniste était bourré et il a été très insultant envers notre bassiste de l'époque, sans savoir que c'était notre bassiste. Ca a un peu refroidi l'atmosphère. Mais le type qui chante et qui écrit les textes est hallucinant. Le type à l'accordéon aussi, ceci dit, et j'adore ce trio. Mais je ne connais pas les dernières productions.

MW : Lazuli fait partie des groupes que tu aimes bien, donc tu ne leur en veux pas d'avoir repris "Cap'tain coeur de miel" ...

ChD : Non, j'étais d'accord à 200%.

MW : Et je rêve de voir Lazuli et Ange sur la même scène ... Est-ce un rêve utopique ?

ChD : On l'a fait, à Bergerac ! Et on va le faire à nouveau le 12 juillet ... dans l'Hérault.

MW : Chaque fois qu'un groupe français se pointe dans le monde du prog, on dit : c'est les fils d’Ange. Trouves-tu cela flatteur ou plutôt casse-pieds ?

ChD : Les étiquettes c'est casse-pieds. On a dit à l'époque qu'on était le Genesis français, alors ... c'est gonflant. Ce sont des clichés journalistiques. Le problème dans les journaux spécialisés c'est qu'il faut toujours faire des comparaisons, des références.

MW : Quels sont les projets d'Ange après la tournée actuelle ?

ChD : La tournée va continuer jusqu'au début 2009 en changeant le show de temps en temps, et 2009 c'est l'année des 40 ans d'Ange !! Je réfléchis déjà à quelque chose pour marquer le coup. Il y a aura sûrement une tournée des 40 ans, mais je réfléchis à autre chose .. peut-être un livre ... On sortira un nouvel album ... je travaille déjà sur des nouvelles compos. Il devrait sortir début 2010. Les débuts d'Ange datent de fin 69 - début 70. La tournée pourrait démarrer dans un an, en septembre.

MW : Merci Christian pour ce moment que tu m’as consacré, je te laisse le soin de conclure par une petite phrase pour nos lecteurs ...

ChD : Je dis la phrase éternelle pour un ange : à toujours sur la vie, à toujours sur le rêve, ça c'est important !!