Nous sommes le 14 Juillet 2006, et le grand prix de Formule 1 de Magny-Cours fête ses 100 ans. Après l’heure de la deuxième séance d’essais, nous allons nous « poser » sur la pelouse pour assister au concert de Roger Waters « Dark Side Of The Moon Live » en compagnie du septuple champion du monde de F1 Michael Schumacher, ainsi que son patron chez Ferrari, Jean Todt, son ingénieur en chef, Ross Brawn et du coureur Jarno Trulli (Toyota).
Une semaine après la mort de Syd Barrett, dans sa soixantième année, du diabète et de l’ensemble de ses abus, dans notre tristesse, le concert, que tous les fans Français du Floyd attendaient, était-il devenu autre chose que la célébration d’un souvenir ? Cette « moitié » de Pink Floyd allait-elle nous décrocher la (bonne face de la) lune ! ?
Après le passage de Tony Joe White, c'est l'orage qui menace, et éclate lors du début du set de Laurent Voulzy. Il nous joue une sorte de best of de ses titres, il est entouré de musiciens très talentueux. Il est sympathique et salue à plusieurs reprises le public pour avoir le courage de rester sous la pluie !. Cependant, l'ensemble manque de rythme et, ironie mise à part, l’orage se termine quelques minutes après sa dernière chanson !, … pas de rappel et il finit par un beau lapsus, annonçant « Roger Mason » !...
Roger Waters arrive, classe, en noir, la belle soixantaine assumée ! : "Est-ce que vous êtes prêts ?" … mais l’étais-je ? dans mes souvenirs des concerts de Pink Floyd (sans Roger Waters) …
Premières notes d'« In The Flesh », des milliards de poils se hérissent sur nos 30000 corps, de tous âges, de toutes nationalités … c’est la magie du Floyd ! ... Pris complètement au dépourvu, le public se prend les premières notes dans la face sans même avoir le temps de réagir à cette « décharge musicale » de 150000 Watts que nous venons de recevoir. Le choc est difficilement descriptible, pour l’expliquer, il faut parler de la pureté du son retransmis par des colonnes d'enceintes de 10 mètres de haut disposées en cercle autour de nous, et de nous apercevoir que nous sommes passés en quelques années, pour les concerts en plein air, de la sono (Murs de « Marshall ») à la HIFI ( en 5.1 et + ) avec les dernières technologies de traitement des basses (Surround System Hidden Sub-Bass). Le public est enthousiaste, chante, crie, applaudit ... Il faut parler aussi de cette scène où prennent place Waters et sa basse, 3 choristes, 3 guitaristes, nous sommes d’ailleurs plutôt gâtés ce soir, les habituels Snowy White et Andy Fairweather Low assurant parfaitement leur poste, et surtout Dave Kilminster (Celui-ci, nouveau venu chez Waters, est très technique), Jon Carin aux claviers, l’orgue Hammond est tenu par Harry Waters, qui ne fait en rien honte à son père ! et un Graham Broad qui assure « comme une bête ! » à la batterie, d'une mise en scène travaillée et de l’immense toile de fond où s'affiche pour l'instant 2 marteaux croisés, des 3 écrans géants permettant de ne pas louper une miette de la virtuosité des musiciens. Et puis, il y a aussi les installations pyrotechniques, rideaux de flammes et pluies d'étincelles, toujours utilisés à bon escient.
Suit un « Mother » tout aussi percutant où Waters arrive avec une aisance déconcertante à pallier l'absence de Gilmour grâce à des voix féminines particulièrement bien choisies. La guitare acoustique prend une ampleur absolument fabuleuse et la voix de Waters nous donne la chair de poule. L'émerveillement fait place à un poignant hommage au tout juste décédé. Ainsi Waters reprend « Set The Controls For The Heart Of The Sun », issue de leur période psychédélique.
Nous voilà en plein air, la nuit commençant à tomber, avec les souvenirs du « Live à Pompéi », devant cette extraordinaire chanson, pendant que des images de Syd défilent sur l’écran. On a beau voir ces images chez Waters comme chez Gilmour dans leurs tournées respectives depuis des années, ce soir, c’est différent et bien entendu l'immense « Shine On You Crazy Diamond », (Continues de briller, toi le diamant fou), heureux détour musical tout à fait inattendu, nous transporte. De même, la mélodie de synthé de « Have a cigar » qui suit a une tonalité bien grave. Le titre est par ailleurs arrangé de façon plus agressive et dynamique que sur l’album de 1975. Puis « Wish You Were Here », premier temps fort attendu du concert, qui arrive drôlement tôt, introduit par cette phrase simple (toujours en français) : « Evidemment cette soirée, elle est pour Syd » nous dit-il la gorge nouée. « Et spécialement ce morceau ... » a-t-il ajouté avant d'entamer cette chanson bien nommée : « Je voudrais que tu sois là ». Et ce n’est pas sans émotion que Waters et ses choristes chantent avec le public « Come on you raver, you seer of visions, come on you painter, you piper, you prisoner, and shine » …
Le groupe nous gratifie ensuite de deux titres de « The final cut » : « Southampton Dock » et surtout « The Fletcher Memorial Home ». Waters les chante avec tendresse et rage mêlées, créant une véritable intimité avec le public.
C'est toute une époque passée que je revis alors. Mais que nous réserve-t-il pour la suite ! ??? …
Par un retour sur sa carrière solo, sa thématique de « l'impuissance face au malheur » et son message politique sont toujours présent, dans les paroles, ou dans les images projetées, photos de Bush, de Ben Laden dans une maison désertée ... C’est dans le calme que l’on entend les familières notes de piano de l’intro de « Perfect sense »,
Peu avant qu’un astronaute gonflable flotte devant l’un des écrans. P.P. Arnold ( Ikette ! chez Ike et Tina Turner en 1964, et choriste ensuite pour Eric Clapton et Peter Gabriel ...), déjà excellente sur la version studio, donne sur ce titre une performance très forte, réellement impressionnante. Sur le disque, un public artificiel donnait déjà du relief à la chanson ; ce chœur est retransmis sur les enceintes mais le public de Magny-Cours semble ne pas vouloir s’en laisser compter par cet artifice et relaie le refrain, on se met tous à chanter « can’t you see / it all makes perfect sense / expressed in dollars and cents / pounds shillings and pence ».
Et puis c’est LA chanson : « Leaving Beirut », la propre expérience de Waters. Il nous raconte qu'à 17 ans, il avait relié Paris à Beyrouth via l'Irak en stop, et avait été pris par une famille Libanaise qui s'était montrée très généreuse envers lui, la mère de famille se privant de nourriture pour lui offrir et même, le couple lui laissant leur propre lit pour qu’il puisse dormir. Le public ne s’y trompe pas et applaudit aux phrases les plus fortes, Waters n'a pas manqué d'écorner tous ceux qui font la guerre et en retirent profit, avant de s'en prendre au président américain George W. Bush et au premier ministre britannique Tony Blair dont les pays ont « envahi l'Irak illégalement, attirant sur eux la honte éternelle ».
Il y a 3 ans, Waters cherche et retrouve cette famille, et écrit cette chanson. Elle est accompagnée de l'histoire en bande dessinée noir et blanc, projetée sur l'écran du fond. Des bulles rondes montrent les dialogues et expriment la pensée du jeune autostoppeur qui est transformé par cette générosité, et qui remet ainsi en question sa vision du monde. Des bulles carrées avec la ou les pointes dirigées sur le chanteur ou les choristes retranscrivent les paroles de la chanson. Beaucoup d'émotions passent, surtout avec l'actualité internationale du jour même, mais d'une manière simple, avec humilité et sans opportunisme. Chez Waters, son discours reste le même depuis quarante ans. Ces concepts « The Wall et Ca Ira » sont toutes deux des œuvres sur « la communication entre les hommes et sur le fait de réaliser le potentiel d'empathie des êtres humains, qui est ce qui nous distingue des animaux ».
Puis « Sheep » dont l'intro permet au génie de nous montrer ses talents d'imitateur de mouton ! Nous sourions bêtement, c’est le cas de le dire ! Avec ce morceau, le groupe nous donne à écouter ce qui est probablement l’une des plus belles interprétations de cette soirée.
Et puis, c'est l'entracte. Roger Waters part se reposer 10 minutes. Dix minutes qui permettent de reprendre pied dans la réalité, de sortir de la « matrice sonore » pour mieux y replonger lorsqu'il revient : « Avant de commencer, je veux vous présenter un vieil ami ... » : Nick Mason arrive et s'installe à la deuxième batterie.
L'écran carré a fait place à un écran rond entouré de projecteurs, un classique chez Pink Floyd. Sur cet écran, apparaît une pleine lune, puis défilent des images d'aurores boréales tandis que l'air se remplit de bruits d'hélicoptères tournant autour de nous.
La set-list du disque « Dark Side Of The Moon » est respectée, … « Breathe » ... moment planant, on recommence à oublier qu'on existe, tellement remplis du son, et bientôt tout le monde chante « breathe in the air, don’t be afraid to care ». Puis, c'est le stress de « On the run », les bruits de pas, toujours les panoramiques sonores, le son est énorme, cette boucle de synthé prend une place folle, cent fois plus forte que sur le disque, qui prend possession de nos sens. Et enfin la libération grâce aux milliers de carillons de « Time »... ce soir-là, je suis devenu une horloge !... La « sixtiphonie » a un effet terrible sur le public, qui ne sait plus où se tourner. Graham Broad assure la rythmique binaire, pendant que Mason joue les percussions, visiblement avec un plaisir énorme. Toute cette pureté, chaque coup sur la batterie de Nick Mason résonnant parfaitement, tout semblait tellement à sa place, même les horloges qui défilent sur l'écran. Nous sommes aux anges, et ont assiste ensuite, complètement médusé, aux vocalises incroyables de maîtrise de Carol Kenyon pendant « The great gig in the sky », quatre minutes durant lesquelles le groupe donne tout, laissant la chanteuse sur le devant de la scène. Il était difficile d’imaginer qu’il s’agissait d’un titre fait pour la scène, et la chanteuse américaine le prouve magnifiquement.
Dois-je continuer à raconter la suite ? !, la merveilleuse « Money » pendant laquelle Waters ne chante pas, laissant la place à d'autres comme sur quelques morceaux de cette deuxième partie. Le guitariste Dave Kilminster, couvert de cheveux et de bijoux semble en transe. Le lead guitar a un jeu plus en attaque des cordes, s’éloignant du style doux et coulé de Gilmour, et Ian Ritchie retranscrit très bien le solo de saxophone d’origine. Il se montre tout aussi bon pendant « Us and them », chanté par Jon Carin. Seul l'effet d'écho sur sa voix était raté, sûrement en raison d'une erreur technique.
L’aspect collectif de la musique se ressent bien ce soir, et Waters reste en arrière, avant de reprendre le micro pour « Brain Damage » qui n'est pas sans rappeler une fois de plus l'incroyable empreinte de Syd Barrett sur ce groupe, « There's someone in my head, but it's not me » (Il y a quelqu'un dans ma tête, mais ce n'est pas moi), et sa présence très forte sur ce concert, le rire final du morceau semble être le sien …
Fin de concert brutale, comme si nous avions subi une séance d’hypnose collective, mais personne n'y croit, et pour cause, le groupe revient et finira sur cinq chansons de « The Wall », notamment pour chanter, Heu !… pour nous laisser chanter !
« Another Brick In The Wall Part 2 », puis « Véra » c'est là qu’une « p’tite » larme (de bonheur et d’émotion) coule le long de ma joue !, ce n'est peut-être pas le morceau le plus poignant mais cela ne se commande pas !... puis un « Comfortably Numb » enflammé, plutôt prévisible en guise d'adieu, avec des effets pyrotechniques très impressionnants.
Ce concert restera comme un moment de pur bonheur, de communion, bien trop court !, mais aussi d'une intensité incroyable. Nous sommes passés par toutes les émotions, vivant même une explosion, que l'on a tous ressenti dans la moindre partie de nos corps, la terre a tremblé, les projecteurs sont devenus rouge feu, dans un bruit assourdissant ... Des moments d’exceptions, prenants et excitants !...
Pour revenir à la question de départ !, et après mes concerts du Pink Floyd ( Sans Roger Waters) à Grenoble (1989) puis Bordeaux et Lyon (1994), même si Roger Waters a pu aller jusqu’à « étouffer » l’âme du Pink Floyd, son talent et son charisme manque cruellement à l’autre partie du groupe … faute de savoir gérer les égos, la « full moon » aura du mal à se re-révéler un jour (Heu !… une nuit !!!...) pour un nouvel album studio ... Dans l’attente du DVD en 5.1 pour revivre, en intimité !, ces 2H30 de ce concert exceptionnel !..
Merci à Pierre (Pitig38) pour ce magnifique compte-rendu !
Plus d'informations sur https://www.pinkfloyd.com/