Les amateurs de musique progressive n'en faisant qu'à leur tête, c'est 8 jours après la date officielle que j'ai vécu ma fête de la musique, avec la prestation d'une des têtes de proue du progressif made in France, à savoir le groupe local Taal, plus que fortement remarqué après la parution de leurs deux albums (Mr Green et Skymind), ceux-ci leur ayant valu des invitations notamment au Baja Prog (Mexique) ou au Gouveia art rock festival (Portugal). Organisé en plein air dans le cadre des Terrasses de l'été de Poitiers, ce concert mettait également à l'affiche un autre groupe local se revendiquant de l'étiquette progressive, l'Avic Team (prononcer à voix haute pour saisir le jeu de mots).
Arrivé sur place un quart d'heure avant le début officiel, j'exhibai quelques minutes seulement mon superbe tee-shirt Nemo, avant de vite mettre une veste dessus pour cause de froid … et de public absent ! A part quelques pochtrons plus qu'avinés, les spectateurs présents se comptent sur les doigts d'une main. Prévue à 21H, la première partie assurée par l'Avic Team ne démarre qu'à 21H30, le guitariste débarquant de sa voiture à peine 3 minutes avant le début du concert.
Jeune (dans sa formation mais pas dans l'âge de ses membres) groupe nouveau venu sur la scène locale, l'Avic Team se veut proposer une musique d'appellation d'origines incontrôlées, avec une rythmique à base de séquences impaires. Programme plutôt alléchant, que l'étude de la formation ne fait que renforcer : basse, batterie, guitare, clavier et saxophones.
Après un premier titre plutôt fade durant lequel la balance finit d'être "réglée", la deuxième composition nous offre une ambiance à la Soft Machine, avec une basse définissant effectivement une rythmique impaire complexe mais répétitive, suivie par la batterie, tandis que le saxophone vient broder des lignes mélodiques successives. A noter qu'en raison de la température et l'humidité ambiante, ce dernier aura beaucoup de mal à jouer juste (du moins dans le même ton que ses camarades de scène), changeant de nombreuses fois d'anches tout au long du concert.
Malheureusement, si l'idée est bonne dans son acceptation, sa déclinaison laisse à désirer. Très vite, le côté répétitif de la formule entraîne une lassitude qui ne nous quittera plus jusqu'à la fin du set. De plus, la présence insignifiante du guitariste ne permet pas de donner une autre coloration à la musique, et malgré deux ou trois interventions très seventies du claviériste, venant dialoguer avec son compère saxophoniste, l'ennui est là, et heureusement qu'Aladdin m'a retrouvé dès le deuxième titre pour tromper l'ennui en attendant Taal.
Côté public, les mamans sont descendues des tours avoisinantes avec leurs enfants en entendant la musique, et c'est plutôt dans une ambiance de kermesse que les musiciens parviendront malgré tout au bout de leur prestation, une fan ultime (sorte de sorcière ayant dépassé les 4 grammes) réussissant à danser seule sur leur rythmique syncopée pendant près d'une heure !
Une demi-heure plus tard, changement d'ambiance : la nuit est définitivement tombée, les mamans sont rentrées coucher leurs petits, et les derniers curieux non avertis vont définitivement plier bagage dès les premiers accords dissonnants et distordus de Taal.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore ce groupe, on les a comparé à King Crimson et Frank Zappa, le côté métallique en plus. Pour résumer, la musique de Taal, c'est 50 idées à la minute, des breaks en tout genre avec une rythmique plus que complexe, un son parfois à la limite du supportable et une formation à géométrie variable, centrée autour de la batterie de Loïc Bernardeau, faisant la part belle aux instruments classiques.
Dans sa formation actuelle, et après avoir compté jusqu'à 10 membres (dont 2 batteries) lors de la sortie de l'album Skymind, Taal est composé de 6 musiciens : batterie, basse, clavier, guitare plus deux jeunes filles angéliques (au premier abord !) jouant de l'alto et de la flûte traversière.
Annoncé sur leur site (http://www.taal.free.fr/) comme concert de lancement de leur troisième album (qui n'est pas encore enregistré et donc encore moins disponible !), la prestation démarre avec un nouveau titre, annoncé comme "La Saison des Battages". On n'en saura malheureusement pas plus sur le reste de la set-list, Loïc Bernardeau limitant ses interventions vers le public à cette seule présentation.
Dès les premières mesures, on se retrouve plongé dans l'univers de Taal, avec un son qui scotche le spectateur à son siège (bien qu'étant debout) : ça part dans tous les sens, l'alto d'Emmanuelle Bourriaud se révélant le point central mélodique de ce morceau. Rien à voir cependant avec un alto de conservatoire, le son proposé par l'instrument sonnant rock n'roll en diable, distorsion et écho à souhait. Idem pour la très sage Hélène Sonnet avec sa flûte, dont chaque intervention vient faire contrepoint à sa consoeur. Mais c'est la condition sine qua non pour exister dans ce groupe, face à la furie de leurs homologues masculins. Taal chante très peu, mais alors qu'est-ce-que ça joue !
Anthony Gabard à la guitare, sorte de géant blond qui joue avec furie de la pédale, passant de la position saturation à la position sursaturation en permanence, tandis que ses doigts s'offrent des montées et descentes de manche en veux-tu en voilà. Puis David Stuart Dosnon, un des créateurs du groupe, revenu l'an passé dans la formation qui, sans avoir l'air d'y toucher, produit des lignes de basse d'une complexité absolue, bien soutenu en cela par un des plus formidables batteurs qu'il m'ait été donné de voir, Loïc Bernardeau, l'âme du groupe, roi de la rythmique.
Et puis, last but not least, Guillaume Habrias, sort de Jésus pieds nus derrière son clavier, qui nous sortira des sons d'une dissonance à faire fuir n'importe quel fan du Pink Floyd Ummagummesque, avant de revenir nous planter un solo tout droit sorti de Pleyel.
Pendant près de 75 minutes, Taal va ainsi nous entraîner dans une furie musicale métallo-rio-progressive, dont on ressort complètement soufflé, et enchanté. Réservée à un public averti, leur musique n'était peut-être pas la plus appropriée pour faire venir la grande foule dans le cadre de ces Terrasses de l'Eté, et c'est environ une soixantaine de personnes qui auront suivi ce concert jusqu'à son terme. Aladdin et moi en faisions partie, et ça valait largement toutes les fêtes de la musique de France !
Plus d'informations sur http://www.taal.free.fr