Il y a une chose dont je me suis fait une spécialité et qui risque de ne pas vous surprendre si vous me suivez depuis quelques mois : la lettre ouverte. Oui, c'est une idée saugrenue qui m'est venue dès qu'on a commencé à me dire que je n'écrivais pas trop mal. Du coup, j'ai essaimé sur internet un certain nombre de lettres ouvertes dont j'avoue être assez fier. La dernière étaient adressée à l'un de nos ministres actuels. Elle n'a pas eu l'air de l'émouvoir outre-mesure mais moi, cela m'a fait un bien fou, je n'en suis toujours pas revenu.
Le gros avantage de la lettre ouverte est que votre correspondant, en général, préfère ne pas vous répondre et feindre un superbe mépris à votre encontre. Cela peut être agaçant mais il faut savoir mettre de côté son amour-propre et voir l'avantage qu'on peut tirer de l'absence prévisible de réponse : le fait de pouvoir se lâcher complètement et dire vraiment tout ce qui nous passe par la tête.
Je ne vais pas vous refaire ici tout l'historique de la lettre ouverte ni même vous donner accès à mes proses n'ayant rien à voir avec le thème du site sur lequel vous vous trouvez, mais je voudrais tout de même aujourd'hui vous faire bénéficier de cette petite compétence en vous proposant quelque chose d'inédit selon moi : le modèle type de la lettre ouverte à un musicien à qui vous auriez envie de dire que, franchement, il commence à vous gonfler avec son manque flagrant d'inspiration.
Cette idée m'est venue en écoutant la dernière oeuvre, si j'ose dire, d'un artiste que vous connaissez tous si vous fréquentez notre site. Je ne le nommerai pas car l'objectif n'est pas de descendre sommairement un bon pan de son oeuvre mais je pense qu'il est un excellent terrain d'essai pour l'exercice que je vais effectuer sous vos yeux ébahis.
Et je préviens d'emblée mes amis fans de l'artiste en question, amis que je ne citerai pas pour ne pas mettre Tonyb dans l'embarras, que même s'ils trouvent de quel artiste je parle, il n'y aura aucune récompense de ma part.
Attention, c'est parti.
Mon cher ami,
aujourd'hui, je suis triste. Non que j'ai perdu le chat de mémé dans le rayon surgelés du supermarché, voire mémé elle-même, mais simplement du fait que je viens de me procurer ton dernier album. J'avoue, je l'ai piraté, c'est pas bien mais au vu de tes dernières livraisons, j'ai appris à être méfiant. Et je m'aperçois à nouveau que ma prudence m'a été bénéfique dans le sens où je cherche encore et toujours des traces de cette belle inspiration dont tu nous avais gratifié à tes débuts.
Mais revenons-en donc à tes débuts et permets-moi de te faire partager ce moment proche du divin que j'ai vécu étant adolescent. Je m'en souviens comme si c'était hier : j'avais une quinzaine d'années, c'était donc au tout début des années 80's et ma seule éducation musicale se réduisait à la culture dite classique.
Un copain de classe, pris de pitié, m'invite chez lui et me dit : "je vais te faire écouter un truc que tu n'as jamais entendu et qui va changer définitivement ta perception de la musique !".
Moi, je souris avec condescendance car je sais bien que rien ne vaut la musique classique. Et à cette époque, ta musique ne vaut pas la musique classique ; elle n'est simplement pas comparable. Ce copain me montre une pochette hautement improbable, pose le vinyl sur sa chaîne hifi et, dès les premières notes de piano, je suis transporté.
S'ensuivent 50 minutes de révélation. Je rentre chez moi et me procure immédiatement les 6 albums disponibles à cette époque.
Je crois que je ne suis pas sorti de ma chambre durant tout le week-end. Et mon pote avait raison : ma perception de la musique n'a plus jamais été la même à partir de cet instant.
Et puis il y avait ce jeu de guitare reconnaissable entre tous. Jeu de guitare que tu n'as heureusement jamais perdu et que je reconnais encore aujourd'hui, seul vestige encore audible d'années bénies entre toutes.
Puis sont passées par là les années 80. Comme beaucoup, je me suis dit que tu subissais les dégâts du désert créatif par lequel l'art musical passait à cette époque. Comme beaucoup je me disais que tu t'en remettrais. Comme beaucoup j'y ai cru lorsqu'au début des années 90's j'ai découvert un nouveau chef d'oeuvre signé de ta main. Comme beaucoup j'ai repris espoir dans ta capacité à rester l'un des maîtres engendrés par cette époque bénie des 70's.
Mais aujourd'hui je pleure. Je pleure car, à grands renforts de teasing et de communications sur ton site, tu nous annonçais un nouveau départ, l'un de tes meilleurs albums... comme à chaque fois.
Oh, je ne t'en veux pas, ils font tous la même chose.
Mais toi, auteur de ces albums dont je n'arrive pas à me décrocher quarante ans après leur sortie, comment peux-tu me dire aujourd'hui que ta série de chansonnettes mièvres que j'écoute en écrivant cette lettre peuvent constituer, dans ton esprit génial, la droite continuité de ton processus créatif ?
Non, je ne peux croire que ceci soit le résultat d'une réelle démarche volontaire de ta part.
Que t'est-il arrivé ? Tu vis dans un mobil-home à côté d'une usine ? Ton chien préféré a mangé une de tes guitares et cela t'a miné le moral de façon définitive ?
Non, je crois que j'ai trouvé : ta 47ème petite amie veut que tu la fasses danser. Mais si c'est ça, emmène-là en boite, je t'en supplie, mais ne lui compose pas toi-même des sucreries dansantes complètement mièvres. Pour ça, il y a Tal et M Pokora. Toi, c'est pas ton boulot, c'est pas pour ça qu'on a signé !
Je te le dis aujourd'hui : il faut que tu te reprennes.
Et pour t'y aider, j'ai une proposition à te faire. Quand on n'est pas content, il faut le dire mais il faut aussi proposer des choses, c'est ma devise. Et ce que je te propose, c'est de t'accueillir chez moi, on discute tous les deux, tu me dis ce qui va pas, on en parle, je te présente à un copain psy qui est vachement bon. Ensuite tu prends ta guitare, je prends ma flûte traversière (souviens-toi comme tu savais particulièrement la mettre à l'honneur sur ton quatrième album) et on prend un nouveau départ ensemble.
Je suis certain qu'on peut y arriver.
Allez, arrête tes conneries maintenant, c'est pas drôle.
Bien à toi,
Ta grosse tanche qui t'aime
Voila, je crois qu'avec cela, chers amis, vous avez un bon exemple de ce qu'on peut faire avec quelques mots, un clavier et un artiste en mal d'inspiration méritant un sacré coup de pied au ...
Il y a juste une question que je me pose : est-ce que l'un de nos chroniqueurs osera seulement faire la chronique de l'album qui m'a inspiré cet éditorial. J'espère que la réponse est négative car, dans le cas contraire, j'ai bien peur de me sentir obligé de lui faire à son tour une lettre ouverte le mois prochain !