Que vous aimiez le rock progressif le metal, ou d'autres genres, il semble que ces dernières années soient propices au "revival" en général : de nombreux groupes plus ou moins anciens se reforment, au moins pour quelques concerts, tandis que d'autres sortent de nouveaux albums. A côté, certains n'ont quasiment jamais arrêté, malgré de longs silences discographiques... tandis que d'autres continuent, bon an mal an, de nous offrir une nouvelle production de temps en temps, voire régulièrement.
Parmi les légendes faisant partie de la dernière catégorie, on peut citer Yes qui, après dix ans de silence, sort deux albums en trois ans, Uriah Heep qui sort le troisième depuis son regain d'activité démarré avec "Wake The Sleeper", Black Sabbath enfin reparti pour un album célébré avec Ozzy, Van Halen qui a refait surface avec David Lee Roth.
Beaucoup de débats se retrouvent en petits ou grands comités à propos des albums réalisés par ces vétérans, sur le Net, les réseaux sociaux, les forums, les sites de vente par correspondance où on peut laisser des avis et bien sûr les webzines, sans oublier la presse écrite. Débats ? Pas vraiment. Plutôt s'agit t-il de critiques souvent acerbes, voire assassines. Certains collent pourtant des avis à 5 étoiles sur le dernier Yes... pour contrebalancer les débordements de bile corrosive ? Par ailleurs, on crie au génie pour certains qui ont gagné leur statut d'idoles indéracinables – parfois grâce à un marketing soigneusement étudié. Donc nous avons d'un côté les légendes indéracinables (les Stones !), de l'autres ceux que l'on adore descendre et tout le reste entre les deux...
Mais parlons de ceux que l'on aime détruire... La question qui se pose (évoquée d'ailleurs par mon confrère Hubert Allusson dans Koid'9) est celle-ci : devraient –ils s'arrêter plutôt que de nous montrer ce que certains jugent être une parodie d'eux-mêmes ou tout du moins une image affadie, déclinante, mollassonne ?
Impossible de répondre en bloc à cette question, de toute évidence. Mais si l'on se place au cas par cas, il est clair que le débat fait rage aussi, parfois par pur esprit de contradiction. Ainsi, comme que je l'ai mentionné plus haut, beaucoup détruisent pierre par pierre ou en bloc "Heaven & Earth", le dernier Yes, tandis que d'autres vont le porter au nues ! Même si je suis plutôt content de voir une chronique positive sur Music Waves – et c'est bien l'une des seules ! – je dois avouer qu'il est difficile de ne pas être déçu par ce nouveau disque, plus léger et très peu aventureux (encore moins novateur) qu'est "Heaven & Earth". Et pourtant il ne s'agit pas de la daube immonde comme peuvent le dire certains, allant même jusqu'à lancer des insultes au groupe. Gageons que si cet enregistrement était le fruit d'une formation récente et inconnue, le langage ne serait pas le même.
Pour Uriah Heep, c'est presque le contraire : pas de mièvrerie, pas de mollesse... Comme si le groupe avait voulu anticiper sur ses détracteurs, Mick Box et consorts nous ont livré un opus compact, typiquement hard rock, simple et direct, blindé de boulets plus ou moins rapides et sans aucune ballade ni morceau progressif ! Or, les deux précédents, quoi que assez directs aussi en majorité, recelaient quand même des moments calmes, et deux ou trois morceaux plus originaux et plus marquants. Ceux qui aiment le Uriah Heep des débuts s'attendent à une plus grande diversité et à plus d'ambition, ou tout simplement aimeraient pouvoir respirer un peu entre deux pavés bien lourds... Pourtant encore une fois, il est injuste de décrire cet album comme peu inspiré ou mélodiquement faible car il recèle beaucoup de thèmes accrocheurs et de riffs efficaces joués par des musiciens qui n'ont de toute évidence aucune envie de se laisser aller.
Un peu dans le même genre, l'un des événements les plus récents a été "13", le Black Sabbath avec Ozzy, le premier depuis... on ne sait même plus combien de temps.... Et le groupe a donné à ses vieux fans ce qu'ils aimaient en 1972, en plus lourd encore, tout au long de nombreux morceaux à rallonge mais pas très surprenants, avec tout juste quelques moments plus calmes, mais très peu et, encore une fois, pas trop de mélodies marquantes. Le tout servi avec un bon son "vintage", très pesant, brut de fonderie, sans le moindre clavier – alors que le Black Sabbath des débuts était peut-être réputé pour ses lourdeurs et son aspect sombre, mais avait rapidement inclus dans sa musique des morceaux progressifs, des ballades, des instrumentaux acoustiques... et les claviers de Rick Wakeman sur plus d'un titre ! Le style "early seventies" et le "doom metal " reviennent à la mode semble-t-il... Bonne idée pour BS de rappeler qu'ils sont à l'origine du genre... C'est une option, qui leur réussit semble-t-il. Le seul disque qu'ait enregistré Heaven & Hell, avec le regretté Ronnie James Dio, était tout aussi "vintage", lourd et menaçant, peut-être même encore davantage, mais mieux chanté... Heaven & Hell, qui, rappelons le, aurait pu s'appeler "Black Sabbath Mark II" si Tony Iommi et Geezer Butler n'avaient pas décidé (un peu tard !) de ne plus employer le nom de BS que si Ozzy était avec eux). Bref, on a nettement moins parlé de ce "The Devil You Know", malgré un succès non négligeable. Mais il faut dire aussi que Black Sabbath est devenu légendaire avec Ozzy et que la réunion a vraiment été très médiatisée dès le début, bien avant la sortie de "13" !
Avouons qu'une partie de l'audience de tel ou tel artiste finit par apprécier un album parce qu'il a lu, relu, entendu et réentendu que c'était "génial", "essentiel", etc. selon la bonne vieille formule publicitaire "Les quenelles Petitjean, c'est bon, mangez-en !". On ne parle pas ici des vrais amateurs de musique ni des personnes les plus intelligentes, on le sait mais il serait très optimiste de nier cet état de fait. Et ce type de public existe aussi dans le metal et dans le rock progressif, même si ces genres sont probablement caractérisés par des auditeurs plus exigeants que les personnes qui consomment la musique comme on se sert d'un gel douche... Parfois une sorte de consensus semble se produire comme à propos du dernier Deep Purple, "Now What ?" à la fois riche, énergique et très varié, remarquablement joué et produit. Cela reste quand même rare.
Mais pour revenir au problème des vétérans toujours sur la brèche, dans la plupart des cas, une frange du public est déçue... même si pas dans la même mesure.
Un détail qui a son importance, et pas des moindres, c'est que depuis plus de quarante ans qu'existent des groupes comme certains de ceux cités plus haut, le public est devenu varié, beaucoup ayant pris le train en route et ces derniers n'ont pas la même expérience de la discographie des artistes... A commencer par nous, chroniqueurs de Music Waves ! Qui était adolescent ou même adulte lorsque Uriah Heep a sorti "Very 'eavy Very 'umble" (1970) ou bien encore le légendaire "Demons & Wizards" (1972), par exemple ?
Et puis, n'oublions pas qu'avec l'âge, notre culture musicale s'élargit et que notre personnalité ou notre sensibilité peuvent également changer... Je ne peux m'empêcher de penser à ces métalleux tout d'un coup mariés, se mettant avec leur douce moitié à écouter Hélène Ségara ou encore le dernier Sexion d'Assault "que les enfants adorent"... et presque plus Megadeth ! Ou alors en cachette, avec un casque sur les oreilles... Me vient aussi à l'esprit l'image d'un vieil homme de quatre-vingt ans qui se passerait un bon vieux Slayer dans sa maison de retraite... C'est sans doute concevable mais certains genres ont viré tellement aux extrêmes ces dernières années que l'idée semble incongrue. Bref, le fait de suivre un groupe depuis longtemps lorsque sort un nouvel album implique une approche différente de celui-ci par rapport à quelqu'un de jeune qui en possède tout juste quelques uns, ou même aucun au moment où cette musique apparaît sur le marché.
Finalement, cette agressivité et le slogan du "il faut qu'ils arrêtent, ces vieux c**s" ne sont parfois qu'une version remaniée de critiques violentes qui surgissaient parfois dans le passé à propos de certains artistes alors qu'ils atteignaient seulement la quarantaine ou moins, leur vingtième, voire dixième année d'existence ! Je n'ai pas échappé à ce travers, rassurez-vous... Déçus par certaines de mes références, je les ai parfois maudites aussi ! (A commencer par "Abacab" de Genesis !).
Une chose est sûre : chacun a une idée plus ou moins précise de ce qu'il souhaite entendre de la part de tel ou tel artiste, même si certains veulent – en plus ! – être surpris, notamment les amateurs de rock progressif ! Difficile alors pour ces mêmes artistes, de satisfaire à cette équation complexe : évoluer tout en restant fidèles à une certaine image d'eux-mêmes, surtout si des musiciens essentiels de la formation partent et/ou reviennent.
Ecouter de la musique est un plaisir, son appréciation toute subjective, mais en parler objectivement, en se mettant dans la peau des différents types d'auditeurs possibles est un exercice finalement complexe et ardu... Beaucoup de journalistes dits professionnels bâclent le travail et ce sont finalement des sites comme Music Waves ou plus ou moins spécialisés qui arrivent souvent via des chroniques bien détaillées, à donner aux auditeurs dubitatifs ou curieux des informations précises et consistantes, même si l'épreuve ultime reste l'écoute de la musique, et son appréciation en fonction du vécu et de la personnalité de l'auditeur.
On en reparlera lors de la sortie du "nouveau" Pink Floyd, décrit comme largement instrumental et très atmosphérique, issu des sessions de "The Division Bell" le 10 novembre prochain...