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Nous sommes en 1983, le rock progressif semble presque éteint, seul quelques irréductibles persistent, comment Peter Gabriel avec son Plays Live. On peut cependant noter l’émergence d’une nouvelle vague. En effet, cette année IQ sort son "Tales From The Lush Attic" alors que le groupe mené par Dereck Willimam Dick (Fish) est amené a sortir son premier LP : "Script For A Jester's Tear"…
Avant tout, il est de notre de devoir de remarquer l‘admirable travail d’artwork. Car si les membres du groupe faisaient entièrement confiance a Fish pour l’image du groupe, ce dernier a su s’entourer d’un dessinateur de génie : Mark Wilkinson. Car la pochette de « Script For A Jester Tear » n’est pas seulement une somptueuse adaptation picturale d’un chef d’œuvre sonore : elle regorge aussi de symboles. (Ce qui a d’ailleurs servi d’argument dans la polémique sur un éventuel plagiat de Genesis. Débat dans lequel je n’entrerai pas aujourd’hui) On y voit le Jester, sorte de Bouffon, de Troubadour en costume, l’air plongé dans une tristesse abyssale, un violon dans une main et une plume dans l’autre. C’est la représentation du personnage créé par Fish , basé sur une dualité entre le jovial personnage public, et l’être humain perdu dans ses sentiments douloureux qu’ils ne peux exorciser (On le voit bien : le Jester tente de composer sans succès comme en témoigne les partitions manuscrites a ses pieds) La pochette baigne dans un univers paradoxal entre la lumière venant de l’extérieur et la pénombre de la pièce chargée de symboles mélancoliques (allant des paroles de Yesterday des Beatles jusqu’au titres des journaux). Une sorte de mise en abyme du personnage dans son univers. A noter aussi la présence du Caméléon qui laisse présager un tout autre sens au Jester : celui de l’artiste se dissimulant de son public, sans doute pour vaincre sa timidité.
Après cette longue mise en bouche, certains me rétorqueront –avec raison- qu’on ne juge pas un livre à sa couverture, et que j’ai du m’égarer : il est ici question de chroniques de disques progressifs. Pas d’un forum d’art fanatique faisant l’éloge de Mark Wilkinson. Cependant cette introduction me semblait capitale pour cerner l’univers de ce disque : Comme on le sait tous, et surtout dans le Rock Progressif, un excellent disque n’est pas seulement le fruit de quelques notes bien placées, accompagnée de « jolies » paroles, mais une source d’émotions souvent basée sur un solide concept. Mais assez d’élucubration progueuse : place à la Musique…
Le premier titre éponyme s’ouvre sur la voix lyrique de Fish accompagnée par les claviers de Mark Kelly. Cette introduction fait place à un son de flûte dans lequel Steve Rothery entre en jeu, rapidement suivi de Pete Trewavas. Et là ? nous découvrons dans un morceau grandiose sur lequel il est difficile de poser des mots. Une montée en puissance digne de celle d’Iter Impius pour une composition qui alterne les passages qui vous prennent littéralement les entrailles et les mélancoliques notes de flûtes. On se retrouve encore une fois plongé dans le paradoxe du Jester entre les phases faussement joviales et celles ou le mot « tristesse » deviendrai presque un euphémisme ; le tout avec des changements de rythme rappelant parfois Genesis.. Rien que cela. Il est question d’une douloureuse rupture sentimentale sur laquelle le narrateur ne peut mettre de mots. (Ce qui nous ramène à la représentation du Jester de Mark Wilkinson). Les paroles sont aussi puissantes, touchantes et profondes que la musique qui l’accompagne. Et surtout, le morceau est basé sur une sincérité troublante, on est tellement loin du « Sucre » souvent reproché au Néo Prog ! Il est aussi bon de noter que Mike Pointer n’as jamais été aussi bon que sur ce morceau : si son style de jeu n’as pas su évoluer, il accompagne à merveille le chef la merveille qu’est « Script For A Jester Tear »
Evidemment, suite à une ouverture aussi magistrale, la barre est haute. La deuxième piste, « He Knows You Know », est certes la chanson la moins progressive de l’album mais on retrouve un type de structure propre au groupe, que l’on retrouvera ensuite sur "Fugazi". Le thème de l’addiction à la drogue est servi par un refrain accrocheur et la subtilité de Mark Kelly. Une chanson agréable, mais loin d’être extraordinaire. A noter qu’elle sera réalisée en Single.
Retour aux véritables influences progressives avec la pièce suivante : « The Web ». Une délicieuse progression harmonique où s’alternent les phases mélodiques renforcées par une basse crunchy et pénétrante. Les subtiles arpèges de Rothery font place à l’une des plus grande complicité Guitare / Claviers que j’ai eu la chance d’entendre. Quelle joie de découvrir la simplicité entraînante de Mark Kelly. On est loin des solos prétentieux qui ont fait la renommée des Emerson et autres Wakeman (Nb : Ceci est loin d’être un reproche). Certes le niveau respectif des musiciens y est pour beaucoup, mais on entre dans une conception plus basique de la musique n’ayant pas pour vocation un étalage de technique mais la propagation d’émotions. Et c’est réussi : le magnifique solo de Steve Rothery est entièrement construit sur le feeling. A tel point qu’on croit parfois reconnaître Andrew Latimer ou Steve Hackett. Le tout mettant habilement en lumière les premiers pas de Fish comme parolier, qui s’avère être un véritable poète : « Im the cyclops in the tenement, Im the soul without the cause …».
Vient ensuite le tour de « Garden Party ». Ses claviers très typés 80’s en ont fait un hit radio (Troisième single du groupe) et une base solide pour les performances scénique du groupe. La forme de compostion rappelle parfois « He Knows You Know », et on commence a ressentir que le jeu de notre ami Mike Pointer manque de renouveau, ce qui nuit quelque peut –ce n’est que mon humble avis- à l’originalité du morceau. Les paroles sont cependant extrêmement cyniques à l’encontre d’une « élite sociale » anglaise auto-proclamée selon une logique d’hégémonie familiale : « Social climbers polish ladders ».
« Chelsea Monday », la Cinquième piste de l’album est extrêmement sombre. La mélancolie sombre et attentionnée du Jester ressurgit, à travers un adrmiable travail d’arpèges à la basse, de claviers discrets et surtout d’un jeu de guitare qui laisse entrevoir le toucher exceptionnel de Rothery. Ce solo puissant qui n’est pas sans rappeller celui de incubus (« Fugazi ») sonne indéniablement « David Gilmour ». Et ce n’est pas de trop: cette atmosphère va de paire avec les thèmes du suicide, de l’avenir, du changement abordés par Fish et sa voix qui oscille avec sincérité entre mélancolie, incertitude et ironie. Et cela sans jamais tomber dans l’excès.
La pièce finale, “Forgotten Sons”, Sonne au départ très groovy et rythmée, avec quelques légères consonances psychédéliques. Il s’agit d’une amère critique des conflits armés, de celui irlandais, et d’une manière plus globale de la guerre et du gouvernement. Oh non! on est encore loin de la niaiserie ou des paroles bateau d’un groupe arriviste pseudo engagé prétendant accomplir un devoir moralisateur sur la société entière. Fish nous livre ici des paroles cynique d’une voix puissante : Si je Jester se dote d’une conscience politique, c’est pour externaliser son sentiment d’incompréhension face à la disparition d’hommes pour des décisions arbitraires d’un gouvernement « For whose is the kingdom, the power, the glory for ever and ever ». Le tout est remarquablement orchestré par une rythmique militaire basse/batterie/guitare, des claviers puisant leur inspiration typiquement Marillion dans les sonorités 80’s, et un dernier solo de guitare fluide, aérien et cohérent. Après l’écoute de ce chef d’œuvre, un mot nous vient à l’esprit : « Tourmenté ». Vous savez, le même mot qui vous avait trotté dans la tête après l’écoute de ce fameux disque représentant un visage aux yeux écarquillés et à la bouche grande ouverte. Vous y êtes,. Il ne s’agit pas de lancer une polémique entre ces deux albums trop différents pour être comparés. Il s’agit de montrer que cet album est au Rock Néo-Progressif ce que “In The Court Of The Crimson King” a été au Rock Progressif. En plus d’être un chef d’œuvre, cet album été un véritable tête de file. Alors qu’après 1975, le Rock Progressif semblait s’être engagé dans une phase de déclin avec l’arrivée du New Wave et du Punk, « Script For A Jester Tear » a permit d’insuffler un souffle nouveau, rendant le Prog plus accessible et plus simple.
Ce n’est pas seulement un ensemble de basses profondes et percutantes, de claviers subtils et inventifs, de guitare aérienne et fluide et de textes poétiques chantés par une voix mélancolique et tellement expressive. C’est un univers presque magique basé sur le paradoxe de la dualité du Jester et des thèmes abordés.
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