Que reste-t-il aujourd'hui de ce qu'on nommait dans les années 90 le sympho-Gothic Doom, norvégien de préférence ? Honnêtement, pas grand chose, entre un Trail Of Tears courant désespérément après son passé, un The Sins Of Thy Beloved qui n'a jamais pu enfanter un troisième album suite au pourtant mémorable Perpetual Desolation ou un Sirenia qui n'intéresse plus grand monde.
Et puis il y a Tristania, sans doute le groupe le plus intéressant du lot. Sa carrière est-elle à la hauteur des espoirs que suscita en 1998 Widow's Weed ? Difficile à dire. Au moins, la troupe n'a-t-elle jamais abandonné, continuant d'avancer malgré deux départs dont peu pensaient qu'elle leur survivrait, celui de l'un de ses fondateurs, Morten Veland parti en 2000 former Sirenia justement, puis de sa charismatique chanteuse Vibeke Stenne en 2007. Si les Norvégiens sont étonnamment presque sorti grandi du premier divorce, accouchant peu après de ce qui demeure à ce jour, son meilleur album, World Of Glass, il n'en est pas allé de même avec le second, leur nouvelle voie féminine, la piquante Mariangela Demurtas donnant toujours l'impression, six ans plus tard, d'avoir débarqué de son Italie natale il y a peu !
A sa décharge, Rubycon, sa première collaboration avec le groupe n'a fait que poursuivre l'érosion d'une inspiration en berne depuis Illumination sans doute, voire même depuis Ashes. Avec le recul, la jeune femme n'est pas pour grand chose dans l'échec (relatif) de cette sixième offrande. Choix de prime abord curieux - sa voie sucrée bien que puissance est à des années-lumière de celle de sa devancière - elle s'est au final révélée être un atout dans l'entreprise de reconstruction de Tristania.
Ce que confirme trois ans plus tard ce Darkest White presque miraculeux. Sur bien des points, l'opus surprend. Par sa tonalité sombre que laissait déjà deviner son visuel plus original sinon réussi qu'à l'accoutumée. Par la forte présence du chant masculin, qu'il soit clair ou rugissant d'outre-tombe, ensuite, au point de réduire la place de Mariangela au rang des utilités. C'est un peu exagéré mais cela reflète une double évolution, celle d'un durcissement bienvenu et d'une volonté de rompre avec le credo du Gothic Doom symphonique en laissant à Kjetil Nordhus un espace pour s'exprimer à la hauteur de son talent.
Ainsi, bien que donnant toujours de la voix, il faut presque attendre le quatrième titre, "Requiem", pour voir la belle mener la danse, les trois premiers morceaux étant dominés soit par Anders Hoyvik Hilde ou l'ex Green Carnation sur le très beau "Himmelfall" où son duo avec l'Italienne fait mouche. D'une manière générale, celle-ci ensorcelle surtout les compositions les plus atmosphériques (à l'image de la ballade "Lavender") sinon les plus Rock qui la voit alors partager la micro avec l'organe de Kjetil ("Arteries", "Diagnosis), laissant le registre caverneux se tailler la part du lion sur le reste d'un menu relativement agressif.
Voilà donc un surprenant Darkest White qui, par une qualité d'écriture (enfin) retrouvée, s'offre une place parmi les premières au sein de la discographie des Norvégiens. Les mélodies, les arrangements sont imparables et sans être extrêmement riches, ils le sont toujours plus que ce que les trois disques précédents laissaient entendre. Cette réussite permettra-t-elle à Tristania, qui peut aussi compter un line-up stabilisé depuis 2010, de renouer avec son succès d'antan ? On lui souhaite car il le mérite, dernier dinosaure d'un genre passé de mode...