On ne va pas se le cacher, Louis De Mieulle, petit frenchy parti vivre outre-Atlantique, n'a pas choisi la voie de la facilité pour son premier album solo. Amateurs de chansonnettes, de mélodies limpides ou de riffs bien gras, votre lecture s'arrête ici. Le reste ne vous intéressera pas.
Non, pour apprécier "Defense Mechanisms", il faut avoir l'oreille aventureuse et le goût du bizarre. Aimer les libertés, les grands espaces, les musiques qui évoluent sans cadre, les breaks rythmiques insolites, les boucles entêtantes, les dissonances parfois, bien que rares. La musique reste indescriptible (le disque est entièrement instrumental), fusion entre jazz, free jazz, jazz-rock, avant-garde et musique sérielle pour les lignes principales. Une musique qui vous remplit la tête d'images, si vous n'avez pas fui avant la fin du premier morceau. Une musique qui a un curieux pouvoir apaisant malgré l'enchainement de ses rythmes syncopés, l'ostinato de certains passages, ses fougues bruitistes et une complexité d'écriture avérée.
Pour exemple, 'Electric Cell Mutations' est décrit par l'auteur comme l'évolution des motifs par inversion, augmentation, superposition dans un processus intellectuel et géométrique. Le profane entendra une musique débridée et évolutive qui finit par se structurer autour des arabesques élégantes du piano. Un titre qui ressemble par certains côtés à Hatfield And The North. Il faut dire que Louis de Mieulle a de solides références : diplômé en composition classique du Conservatoire National de Paris, de l'école de jazz American School Of Modern Music et du Berklee College of Music à Boston, un pédigrée qui inspire le respect. Pour l'accompagner, Matt Garstka qui joue de la batterie depuis l'âge de huit ans et Casimir Liberski, pianiste de jazz précoce et doué.
Avec un tel casting, on se doute que la musique est tout sauf simpliste. La virtuosité est de rigueur mais, loin de se perdre dans un onanisme musical de mauvais aloi, le trio emmène l'auditeur aux confins du rêve dans un voyage musical inspiré et dépaysant. Certes, certaines longueurs ne sont pas évitées et quelques passages ardus nécessitent de la persévérance. Mais si les mélodies sont difficilement mémorisables, l'écoute reste agréable grâce à la fluidité des lignes mélodiques et la chaleur de l'interprétation.
En dépit de toutes ses qualités, "Defense Mechanisms" reste un album à réserver aux amateurs de jazz, de jazz rock ou aux assoiffés de virtuosité. Ceux-là, et ceux-là seulement, auront la patience nécessaire pour décoder les arcanes labyrinthiques d'une musique souvent déroutante qui n'oublie cependant pas d'être somptueuse.