Selon les dires pleins de bon sens d’Ondráš Zbránek, le chanteur d’Abstract Essence, le meilleur moyen de découvrir un groupe est d’acheter son disque et de l’écouter. Proposition très alléchante mais pas forcément très professionnelle pour un chroniqueur que de l’inviter à se débrouiller seul. Le saut dans l’inconnu a quelque chose d’agréable mais je vois déjà la tête du boss si ma chronique devait se conclure ainsi. Dont acte ! En bon défricheur voulant le bonheur musical de ses lecteurs j’essaierai de vous guider.
Premier contact avec Love Enough par son "Overture" plus original par son contenu que par son titre. Ambiance étrange et orchestrée qui n’hésite pas à placer des beats electro au milieu de sons de claviers qui sentent déjà l’avant-gardisme à plein nez. Beaucoup d’images se bousculent dans la tête et déjà la certitude que les dix morceaux qui vont suivre ne vont pas être de tout repos. Pour ce quatrième album les tchèques nous ont concocté un album concept basé sur les épreuves de la vie d’un couple, de la naissance à la mort, et dont la mise en scène est bien rendue à travers les ions scénarisées dans les compositions.
Love Enough est un disque très riche et assez hermétique même pour les habitués du genre. Du black métal par les voix terrifiantes d’Ondráš Zbránek qui impressionne autant par ses growls que ses cris stridents à la Dani Filth, en passant par le métal progressif le plus débridé ("Red One"), Abstract Essence pratique un métal extrême expérimental symphonique proche de Diablo Swing Orchestra et Ram-Zet ("Limitless Futures"). Les qualités sont réelles et des titres comme "Rockn’n’ Roll Soul", "The Good Old Days Of Seduction" pourvoient à la dose de mélodie et de folie nécessaire à notre bonne humeur.
Alors que beaucoup de groupes ne se soucient que trop peu de l’importance des paroles dans leur musique Abstract Essence, à l’instar du mouvement avant-gardiste, met un point d’honneur à donner une vraie dimension à l’interprétation spectaculaire de son concept. Les personnages mis en lumière dans l’album trouvent leur place dans des saynètes ("Good Day For A Funeral Blowjob" (!), "Limitless Futures" et "Solar Barge") et dans la performance virtuose du chanteur tout au long de l’album. Construit intelligemment, Love Enough se clôt par un titre éponyme et épique, sorte d’épilogue ou de chute à l’histoire, qui rayonne par sa partie atmosphérique initiale et ses expérimentations impressionnantes.
Dans son Love Enough Abstract Essence respecte les nombreux codes du métal extrême expérimental et symphonique : théâtralité des personnages autant que maniérisme dans le chant, large spectre des textures vocales allant du clair au criard et richesse frénétique des musiques. Dans ce registre il y a ceux qui injecte une forte dose de burlesque et ceux qui se concentre sur la noirceur. Abstract Essence n’est ni dans la franche rigolade ni dans le pathos mais dans une option dense et très technique souvent mélodieuse. Un disque difficile qui ravira principalement les amateurs du genre ou les estomacs solides. On vous aura prévenu.