Avec une moyenne d'âge d'à peine 22 ans, Unreal City pourrait souffrir d'un manque de maturité évident. Pourtant le jeune quatuor italien a de toute évidence bien travaillé ses classiques et qui plus est, ses membres sont bien maîtres de leurs instruments. Avec Fabio Zuffanti à la production, le groupe vient d'accoucher d'un opus hors du temps, délicieusement (ou insupportablement, c'est selon !) rétro et remarquablement bien fait.
Le rétro est décidément à la mode et que des musiciens aussi jeunes arrivent à sonner comme leurs aînés est assez étonnant. Alors, bien sûr il faut adhérer à l'idée. Le son est clair, précis, meilleur qu'il ne pouvait l'être sur bon nombres de productions transalpines en 72 ou 73. "La Crudeltà Di Aprile" n'est en aucun cas une resucée de Genesis comme peuvent le faire d'autres groupes italiens... même si le groupe qui a connu un grand succès là-bas à ses débuts est de toute évidence une influence plus ou moins incontournable. En fait, on retrouve ici ce qui faisait justement l'originalité des formations italiennes classiques des années 70, comme Le Orme ou Museo Rosenbach, un certain sens du drame, un lyrisme plus italien qu'anglais.
Le claviériste et chanteur, Emanuele Tarasconi, qui est semble-t-il l'âme du groupe, puise son inspiration aussi bien chez ses illustres compatriotes et aînés que chez les groupes anglais. Cela s'entend tout au long du CD, ne serait-ce qu'à cause de l'usage exclusif de timbres analogiques très connus comme le mellotron, minimoog, clavinet, sans parler d'un piano fréquent, du clavecin, et de l'orgue d'église (il y a même un peu de theremin !). Les six suites laissent transparaître des influences issues du classique, du jazz et Tarasconi insuffle une nuance parfois plus ou moins théâtrale dans son chant clair et vibrant, sans jamais virer à la caricature. Le jeune homme a décidément du talent comme chanteur, en plus d'être un claviériste fort compétent. Le choix de chanter en italien est un bon moyen d'obtenir une couleur particulière et une certaine chaleur. Les guitares de Francesca Zanetta (une fille dans le prog, c'est déjà rare mais alors une fille guitariste, c'est unique !) ne sont pas particulièrement mises en avant mais la jeune femme délivre des parties mélodiques inspirées, des soli souvent assez brefs, au son rétro eux-aussi, qu'on aimerait plus développés de temps en temps. Le violon de Fabio Biale ajoute un peu d'originalité aux arrangements sur deux morceaux.
Quelques sections prennent un ton hard rock à travers des riffs un peu plus appuyés et saturés (pas bien méchant cependant, du hard rock à la sauce seventies !) et la petite dose de dissonances et de tension dramatique rappelle un certain aspect "gothique" du rock progressif italien d'antan. On retrouve cela notamment sur "Catabasi" (qui démarre à l'orgue d'église mais possède aussi une section finale plus apaisée !) et "Ecate" aussi sur l'énorme suite finale "Horro Vacui". Celle-ci aurait gagné à être placée plus tôt peut-être car ce n'est pas le titre le plus fort de l'album... un morceau assez contrasté qui mélange des ambiances bien différentes et rappelle parfois le néoprog des émules transalpins de Marillion vers la seconde moitié des années 80, avec même un petit passage rock'n'roll de quelques secondes, mais aussi une section finale majestueuse et très forte.
Si vous êtes avides de nouveautés au son ultra-moderne ou branché, Unreal City n'est pas pour vous. Si au contraire, vous regrettez les sonorités typiques des années 70 et du prog italien classique, vous devriez être aux anges... Quant aux autres, sans a priori, on ne peut que leur conseiller de jeter une oreille attentive sur Unreal City, car ce jeune groupe possède bien du savoir-faire et une bonne inspiration mélodique.