Alors que certains ne franchiront jamais le stade de la démo ou mettront des années à le faire, d'autres obtiennent leur sésame pour la cour des grands leur premier rôt à peine poussé. Sorti de la terre du Nevada en 2011, auteur d'un split et d'un EP dans la (quasi) foulée avant de signer chez le puissant Candelight, toujours à l'affût du tiroir-caisse, Demon Lung fait bien sûr partie de la seconde catégorie.
Cette promotion éclair, les Américains la doivent à une double conjonction. D'une part, au revival que connaît le culte de la déesse Doom depuis une bonne décade dans le sillage du succès de Reverend Bizarre par exemple et d'autre part à une mode dont on ne se plaindra pas, celui des grandes prêtresses comme maîtresses de cérémonie au sein d'un genre autrefois des plus masculins. Et alors là, les exemples ne manquent pas et sous toutes les formes : occulte (The Devil's Blood), couillue (Alunah), victorienne (The Wounded Kings Mark II), avec de la flûte (Blood Ceremony), rétro (Gold, Spider) ou biberonnée à la Hammer (Purson). Du coup, tous les labels cherchent à avoir sa poule aux oeufs d'or, siphonnant peu à peu ce qui était original.
Sans ces deux facteurs, Demon Lung aurait-il connu un telle ascension ? Nonobstant de vraies qualités que nous ne tarderons pas à souligner, il est tout de même permis d'en douter car il n'est pas le plus inspiré et sa chanteuse n'est pas non plus la plus douée parmi ses consœurs doloristes. Celle-ci, par sa seule voix hantée au ton volontairement monotone, peut autant pétrifier que lasser, néanmoins incontestable arc-boutant d’une cathédrale massive aux lourdes fondations semblant vouloir accueillir toute la misère du monde. Nous attendions toutefois avec une certaine impatience le premier golgotha longue durée du groupe, appâtés par la mise en bouche Pareidolia, solide EP dont on espérait qu’il serait annonciateur de ténèbres imminentes. The Hundredth Name est-il à la hauteur des espoirs suscités par son aîné ?
En fait, cet album n’a presque qu’un seul défaut, celui de démarrer trop fort, créant ainsi un déséquilibre entre sa tellurique ouverture et une suite de parcours qui n’atteint jamais tout à fait ce niveau. Car, orgasme démesuré du haut de ses presque 10 minutes au compteur, "Blinding Of The Witch" s’abîme d’entrée dans des entrailles insondables. Celui-ci ne démarre en réalité qu’au bout de longues minutes léthargiques durant lesquelles le groupe installe un décor étouffant, tricote un gouffre infernal déjà au bord de la rupture. Puis, la machine se met en route, lourde, prisonnière d’une chape de plomb et incapable de passer la seconde. Enfin, les mélopées de Shandra surgissent dans un dernier tiers dont la dimension sentencieuse est timidement altéré par un rythme qui s’emballe avant de se fondre dans le morceau suivant où les lignes vocales de la déesse se pare d’un voile émotionnel.
Le reste, en dépit d’un "A Decade Twice over a Day" puissant, se révèle donc moins marquant sinon plus inégal, bloc monolithique extrêmement aride pas toujours aisé d’appréhender, rongé par une inexorabilité transmise par ce chant pétrifié de gorgone endormie. Granitiques, ces titres vidangent leur quota de plomb, trop peut-être même, engourdis qu’ils sont dans un socle terreux charriant un pesant désespoir.
Il manque encore aux Américains ce supplément d’âme qui leur permettrait de s’extraire de la masse, cette espèce d’étincelle qui fait toute la différence et sépare le bon grain de l’ivraie. Mais gageons que l’amateur éclairé trouvera son compte dans ce disque qui fait mieux que transformer l’essai.