Après avoir sorti coup sur coup deux excellents albums, "Rock Bottom" et "Ruth Is Stranger Than Richard", au milieu des années 70, Robert Wyatt met sa carrière solo entre parenthèses pendant dix longues années. Certes, l'artiste n'est pas resté inactif durant cette période. Outre ses nombreuses collaborations avec une kyrielle de musiciens (Kevin Ayers, Brian Eno, Henry Cow, Hatfield And The North, Phil Manzarena, John Cage, Nick Mason, …), participant tantôt en tant que chanteur, tantôt à la batterie et aux claviers, il a également sorti une compilation de reprises ("Nothing Can Stop Us") et la BO d'un film ("The Animals Film"), tous deux en 1982. Mais rien qui ne corresponde à un véritable album studio. "Old Rottenhat" va mettre fin à cette période de vaches maigres.
Alors, quoi de neuf dans la musique de Robert Wyatt ? Eh bien, pas vraiment grand-chose, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. D'une part parce que le style inimitable de ce chanteur est tellement original que c'est toujours un plaisir de l'entendre. D'autre part parce que les années 80 ne sont généralement pas une période propice à la créativité musicale de bon goût. Robert Wyatt semble être resté imperméable aux modes plus ou moins inspirées qui ont traversé cette époque, "Old Rottenhat" étant à cet égard aussi intemporel que "Rock Bottom".
De là à dire qu'il arrive à recréer la magie de son chef d'œuvre, il y a un pas que nous ne nous aventurerons pas à franchir. Bien sûr on retrouve cette voix fragile, délicate, mélancolique qui touche si facilement la corde sensible sans artifice, sans cri, sans vibrato lacrymal. Elle volète tel un papillon sur des mélodies souvent squelettiques, quelques accords d'orgue tournant en boucle accompagnés d'une percussion minimaliste (essentiellement caisse claire / cymbales) et d'une ligne de basse anémique.
Les mélodies sont même plus franches que sur "Rock Bottom", moins expérimentales que sur "RISTR". Mais justement, c'est là que le bât blesse. Le chant extraterrestre de Robert Wyatt s'accommode mal de trames parfois monotones à force de répétitivité et de discours politisés. En se radicalisant (il est devenu un membre actif du parti communiste au début des années 80), Robert Wyatt puise son inspiration dans des faits de société (lutte des classes, anticapitalisme, génocide, manipulation des masses) dont les thèmes sont moins propices aux épanchements de l'âme que ne l'étaient ceux, plus introspectifs, de "Rock Bottom". L'album manque d'un zeste de poésie, d'un supplément d'humanité, certains titres confinant presque à l'ennui ('The United States Of Amnesia', 'East Timor', 'The British Road'). Heureusement, la plupart conserve cette grâce indéfinissable créée de trois fois rien, quelques notes étirées, une rythmique lancinante et un chant troublant ('Alliance', 'Vandalusia', 'Mass Medium'). Et quand s'élèvent le lumineux 'The Age Of Self', dont le rythme plus soutenu que la moyenne et les chœurs inhabituels (tititi-titi) offrent une bouffée vivifiante, ou l'énigmatique 'P.L.A.' (Poor Little Alfie), berceuse triste nous renvoyant une dernière fois vers l'Alfie/Alfreda de "Rock Bottom", on oublie vite les quelques maladresses.
Malgré son atmosphère un peu monotone, "Old Rottenhat" reste un album attachant, aux ambiances parfois mystiques. Pas aussi poignant que "Rock Bottom", pas aussi novateur que "RISTR", il a cependant le mérite de restituer fidèlement l'univers doucement désenchanté de Robert Wyatt.