Après avoir sacrifié au passage obligé par la planète disco avec "Discovery" et "Xanadu", Electric Light Orchestra renoue avec le style qui a assuré son succès. "Time" est le digne héritier des "A New World Record" et "Out Of The Blue" même si les cordes sont de moins en moins présentes et de plus en plus masquées par les synthétiseurs, années 80 obligent. ELO se paye même l'audace de faire un concept album, l'histoire d'un type des années 80 projeté en 2095, à une époque où ce procédé peut facilement être taxé d'has been.
Comme pour bien ancrer cette notion de concept, "Time" débute par un 'Prologue' et se termine sur un 'Epilogue' comme dans toute bonne histoire. Les titres ne sont pas véritablement enchaînés les uns aux autres mais font régulièrement l'objet de transitions, souvent assurées par les cordes dont c'est là la principale contribution, autant de très courts passages instrumentaux dont les airs n'ont pas de rapport avec les thèmes musicaux des titres qui les précèdent ou les suivent.
Jeff Lynne semble avoir retrouvé son inspiration un peu en berne sur les albums précédents. Pas de grande surprise cependant, l'homme reste fidèle à ses mélodies sucrées parfois popisantes, peuplées d'harmonies vocales luxuriantes et de riches orchestrations. Concept futuriste oblige, bon nombre de titres jouent la carte de la modernité (de l'époque) à grand renfort de synthétiseurs, voix vocodorisées ou déformées ('Prologue', 'Yours Truly 2095', 'Here Is The News'), certains très new wave ((l'instrumental 'Another Heart Breaks', 'From The End Of The World' dont la rythmique répétitive, les mélodies squelettiques aux synthés et le chant dépassionné rappellent Visage).
A côté, d'autres titres résonnent en écho à un passé pas si lointain : 'Twilight' et 'The Rain Is Falling', prototypes, l'un dynamique, l'autre romantique, du style "ELO" avec des mélodies raffinées et chantantes, 'The Way Life's Meant To Be' qu'on verrait bien interprété par Eagles, 'The Light Goes Down' lascivement reggae, le fade '21st Century Man' (bien loin de son presqu'homonyme "schizoïd" de King Crimson) et le réjouissant rockabilly de 'Hold On Tight' sur lequel Jeff Lynne interprète un couplet dans un français à l'accent délicieusement (ou épouvantablement) british.
Enfin, point d'orgue de l'album, le somptueux 'Ticket To The Moon'. Débutant sur un chant mezzo voce accompagné d'un simple piano, le titre s'élève lentement dans un sublime crescendo vers de poignants sommets nimbés d'un luxuriant accompagnement de cordes et de chœurs magnifiques avant que le final en canon ne nous donne l'irrépressible envie de reprendre Ticket To The Moon d'une voix de fausset. Un très grand titre d'ELO.
Certes, tous ne sont pas aussi réussis et la tonalité générale de "Time" ne déconcertera pas les amateurs d'ELO tant le style "Jeff Lynne" est reconnaissable. Par ailleurs, si l'album en mélangeant de nombreux styles apparaît contrasté, il en devient un peu disparate par son collage d'ambiances très différentes parfois fort éloignées du concept futuriste de l'album. Néanmoins, cela faisait longtemps que Jeff Lynne n'avait pas fait montre d'une telle régularité dans l'inspiration et même les titres les plus faibles de "Time" demeurent d'un niveau bien supérieur à ceux des albums qui vont suivre.