A l'instar de nombre de prêtes de la chapelle de la déesse Doom, Phil Howlett est un musicien passionné pour qui le genre ne se limite pas à une simple musique aussi belle soit elle, sacerdoce absolu qu'il exprime avec un sens de l'orthodoxie tout à fait admirable. Resté bloqué sur les années 70 et la NWOBHM lorsque le Heavy n'était pas encore parasité par des verrues policées, l'homme sculpte peu à peu avec Rote Mare une oeuvre monumentale qui a la pureté de la matrice originelle.
Pour commencer, des démos par palettes entières qui ont fixé dans la roche ce Doom traditionnel et puissamment démesuré à la fois et à l'arrivée, un premier essai, Serpents Of The Church, lequel est au groupe ce que In The Rectory Of The Bizarre Reverend fut aux Finlandais soit l'incarnation d'un messie pétrifié. Mais quand Reverend Bizarre, avec lequel il partage une semence presque aussi généreuse, a très tôt programmé sa propre fin, Rote Mare, lui, n'a pas encore l'intention d'ouvrir son cercueil comme le prouve la double salve The Invocation/The Kingdom double album à la sortie néanmoins séparée.
Le premier des deux ayant déjà été chroniqué dans ces pages, nous ne reviendrons pas sur la genèse du projet de fait alors évoquée, nous contentant de rappeler que les deux albums se répondent tel un miroir ténébreux, symétrie quasi parfaite aussi bien en terme de visuel que de construction. Ainsi, à l'image de son ainé, The Kingdom affiche six pistes au compteur dont l'une prend le nom de l'autre versant tandis qu'une bonus track étirée sur près de 20 minutes l'achève elle aussi.
Pour autant, en dépit de leurs évidentes similitudes, on aurait tort de ne voir dans ces albums que deux pièces identiques. Par rapport à The Invocation, son faux frère jumeau se veut peut-être plus direct et Heavy (le presque rapide "Suicidal Slayer"), ce que pourrait infirmer une architecture générale qui aime toujours à se déployer sur des durées excessives.
Surtout, The Kingdom semble moins prisonnier d'un socle mortifère, quand bien même l'atmosphère de pénitence mine le tout d'une inexorabilité infinie. A ce titre, une plainte de l'acabit de "Shadow Of The Grave" a les allures d'une interminable procession, ode démentielle d'une force rocailleuse. Encore une fois et nonobstant l'implication des autres membres du groupe dont on rappelle qu'il fut longtemps le one-man band du seul Phil Howlett, ce dernier porte le disque sur ses épaules, démontrant un talent de chanteur certain. Sa prestation sur "Shameless" notamment démontre une capacité à faire parler l'émotion autant que la noirceur occulte d'une cérémonie impie.
A l'écoute de cette colossale doublette, on voit mal ce qui pourrait priver Rote Mare du trône du pur Doom Metal !