Contrairement à ce que son patronyme pourrait suggérer, Yakuza ne vient pas du Japon mais des Etats-Unis et de Chicago pour être plus précis. Epris de liberté autant que d’absolu, le groupe fait partie de ces explorateurs qui se sont très tôt affranchis des étiquettes, des cases où les esprits étroits voulaient les voir (non) évoluer. D’une manière maladroite, sa musique s’est vue arrimée à toute la scène Post Core/Metal que des oripeaux progressifs viennent modeler, description en forme de raccourci mais qui a au moins le mérite de cadrer tout de même à peu le près le sujet.
Après trois premiers opus déjà remarqués (Way of the Dead, Samsara et Transmutations), Yakuza frappe un grand coup avec Of Seismic Consequence qui propulse son art protéiforme vers une dimension quasi céleste. La particularité de cette formation qui doit aussi une part de l’exposition dont elle a la chance de bénéficier à son producteur, le désormais incontournable Sanford Parker (Minsk, Nachtmystium…), tient notamment dans la présence à priori incongrue d’un saxophone.
A priori seulement car, loin de d’envelopper ces compositions au maillage granitique d’une couche jazzy ou légère, l’instrument leur confère au contraire une puissance souterraine jaillissant de la roche volcanique en éruption qu’il allie à une déchirante tristesse, comme en témoignent les démentiels "Stones and Bones" et ce qui s’impose comme l’Everest de l’album, "Be That As It May" lesquels, en convoquant le spectre du King Crimson le plus douloureux, entraînent leurs auteurs vers des contrées tortueuses creusées de sillons noirs.
Conjuguée à un chant parfois poignant, clair ou plus rageur, cette partition instrumentale tout en fissures et pulsations sismiques, se pare d’une beauté désespérée. Le (trop ?) neurosien "Farewell to the Flesh", lente descente aux enfers longue de plus de dix minutes telluriques écrites à l’encre d’une existence naufragée par des musiciens au diapason de la mélancolie la plus inexorable.
D’ailleurs, il convient de noter également les performances remarquables du batteur James Staffel ("Testing the Water", le prologue "The Ant People") et du guitariste Matt MacClelland au jeu tendu ou plus osseux (le bien nommé "Deluge", que vient caresser une voix féminine fantomatique) mais toujours incarcéré dans une croûte désenchantée. Tous fusionnent en un bloc de matière brute, une masse pesante dont l’unique faiblesse réside peut-être dans ces deux titres plus courts positionnés en fin de parcours, "Good Riddance" et "The Great War", où les racines hardcore des Américains remontent à la surface et dont l’agressivité tranche un peu trop en comparaison d’un ton général plus fin.
Croisement improbable entre Neurosis et King Crimson, Of Seismic Consequence est une réussite exemplaire, œuvre d’une grande densité signée par un groupe au potentiel énorme qui nous propose donc là son meilleur album à ce jour.