Savez-vous à quoi reconnaît-on le talent ? Sans doute, entre autres, à la capacité d'évoluer, de progresser, de ne pas se trouver là où l'on pense vous cueillir. Démonstration avec Altar Of Plagues dont le troisième opus longue durée n'a pas fini de faire couler de l'encre, de faire rager les jamais-contents qui voudraient ne jamais voir leurs groupes préférés quitter la case confortable dans laquelle ils les ont enfermés.
Tout d'abord remarqués grâce à d'efforts séminaux dont le court format n'avait d'égale que la douleur explosive de leur contenu, les Irlandais ont peu à peu rencontré le succès avec White Tomb puis Mammal, architectes d'un Black Metal granitique aux confins d'un Post-Hardcore ferrugineux. Déjà, l'album précédent, bien que toujours fidèle à cette structure monumentale aux allures de gouffres charbonneux sans fin, signature très forte dont on pensait que ses auteurs ne se départiraient jamais, trahissait d'évidentes velléités émancipatrices par rapport à ce socle comme figé dans la tourbe irlandaise, cependant que Tides, EP de plus de 35 minutes tirait quant à lui le groupe vers des terres plus Post-Rock.
A l'image de sa curieuse pochette, laquelle tranche avec le tout-venant, Teethed Glory And Injury fait plus que bousculer les attentes, au risque de décevoir ceux qui ne prendront pas le temps de le pénétrer et de laisser les copieurs à leurs chères études. Car celui-ci n'est pas de ces disques qui se dévoilent dès le premier coup de boutoir, il réclame en cela de longs préliminaires.
Si de prime abord Altar Of Plagues a explosé le format qui lui servait de cadre, fait d'une poignée de titres aux durées étirées, désormais remplacés par d'autres plus nombreux et donc resserrés, l'oeuvre s'apparente surtout à un bloc de matière brute, massif et indivisible. Ces neuf pistes s'enchaînent les unes aux autres de telle manière que vouloir les individualiser est une démarche aussi vaine qu'inutile.
De cette construction découle un matériau plus tendu et intense que jamais, masse compacte traversée par des décharges telluriques dont on ne retient rien si ce n'est une ambiance générale, toujours aussi désespérée, noires comme la terre de ces champs délavés par la pluie. Les Irlandais n'ont rien perdu de leur violence rentrée, de leur noirceur écorchée, personnalité intacte aux traits seulement plus ramassés.
Et alors que l'impression initiale pouvait imposer l'image de musiciens cédant à une démarche plus commerciale, il n'en est rien en réalité. Bien au contraire, Teethed Glory And Injury se révèle beaucoup plus aride que ses aînés, plus difficile à cerner. On pourrait en outre lui reprocher de manquer de ces grands moments dont étaient émaillés White Tomb ou Mammal, procès néanmoins infondé car c'est de cette déchirante globalité qu'il puise sa force, sa puissance souterraine.
S'il n'est certainement pas leur meilleur album, Teethed Glory And Injury témoigne de la maturité acquise par les Irlandais chez lesquels on avait, à raison, très tôt décelé une inspiration unique et visionnaire, loin des modes et des étiquettes. Il sera peut-être aussi malheureusement le dernier, ses géniteurs ayant depuis décidé de s'accorder un break dont l'avenir nous dira s'il sera définitif ou non...