Le nom de Steve Hunter est devenu légendaire dès les années 70, notamment pour ses contributions aux albums et aux concerts d'Alice Cooper et de Lou Reed dans les années 70. Malgré un double glaucome qui l'a rendu presque aveugle, le guitariste reste actif à 65 ans, et cet album assez inclassable, son cinquième en solo, en est encore une preuve tangible. Hunter explore bien des aspects du blues et s'aventure largement au-delà, privilégiant souvent les mélodies délicates et les arrangements raffinés, mêlant guitares acoustiques et électriques au son clair, claviers discrets mais essentiels.
Depuis son passé en tant qu'accompagnateur de Reed et Cooper, Steve Hunter a également développé une carrière de musicien de session et longue et prestigieuse est la liste de ses collaborations. Il joua même aux côtés de Jason Becker sur l'album "A Little Ain't Enough" de David Lee Roth en 1991... Sur cet album instrumental, cinquième production en solo de sa carrière, on trouve d'ailleurs une courte composition intimiste de Becker qui, définitivement, n'est "pas encore mort" ! (Atteint de la même maladie que Stephen Hawking depuis 1991, Jason est avec lui le vétéran des personnes atteintes de cette atroce affection incurable et a fait l'objet d'un film portant ce titre). Hunter prend d'ailleurs un peu le son si particulier de son jeune ami sur ce trop bref morceau.
"The Manhattan Blues Project" possède un caractère plutôt calme et rêveur, ce qui n'empêche pas quelques montées en puissance... Cela commence avec ce "Prelude To The Blues", une douce pièce introduite par des effets sonores évoquant un bord de mer, avec une guitare électrique cristalline et des claviers aériens. Ambiance tout aussi douce et enchanteresse, nonchalante, qui rappelle George Harrison, sur "Gramercy Park", où la guitare sonne presque comme l'instrument hawaïen, titre agrémenté de choeurs féminins angéliques assuré par son épouse. Douceur encore sur "Flames at the Dakota" et le splendide "Ground Zero" mené principalement par une guitare acoustique et une électrique, qui rappelle la délicatesse de Wishbone Ash.
Hunter se paie le luxe d'offrir une réinterprétation du célèbre "Solsbury Hill" issu du premier disque de Peter Gabriel sur lequel il a joué une bonne partie des guitares en 1977. Sa ligne mélodique à la guitare électrique qui reprend celle du chanteur est tout bonnement somptueuse et l'immense bassiste américain Tony Levin (lui aussi révélé par Gabriel et son premier album) y est l'invité de marque. Côté reprises, on remarque également celle de "What's Going On" de Marvin Gaye, assez méconnaissable, avec un rythme différent et nettement plus lent, ce qui ne l'empêche pas d'être une belle réussite grâce à la dentelle mélodique délicatement tissée par le musicien.
Toujours modeste et fidèle en amitié, Hunter n'a pas manqué d'inviter quelques amis talentueux et plus ou moins célèbres sur son album... Ainsi, c'est le piano jazzy de Phil Aaberg qui est mis en valeur sur le syncopé "A Night At The Waldorf". Michael Lee Firkins (un virtuose amateur de blues) gratifie "222 W 23rd" d'un beau solo de guitare slide tandis que Hunter lui-même se frotte à la fameuse pédale wah wah. Hunter, l'acteur Johnny Depp puis Steve Perry d'Aerosmith alignent trois solos à la suite sur le très accrocheur "The Brooklyn Shuffle" au rythme binaire irrésistible ! Et sur le "Twilight in Harlem", dont l'ambiance crépusculaire est épisodiquement rompue par une section plus enlevée , ce sont Joe Satriani puis Marty Friedman qui interviennent avec beaucoup de classe, les deux hommes possédant chacun un style bien distinct et plus puissant qui contraste avec celui du vétéran.
Hunter invite enfin les deux violoncellistes de 2Cellos, sur l'album desquelles il a joué récemment et de nouveau Tony Levin pour un final tout en finesse, la ballade d'où émane une classe indéniable... On ne peut s'empêcher de penser au style bluesy de David Gilmour...
Un album de "soft blues" ? On peut dire ça... Pour certains, il sera sans doute globalement trop sage et trop calme – malgré plusieurs moments plus dynamiques – mais c'est justement aussi ce qui fait son charme... Une véritable leçon de sensibilité à ne pas manquer.