Tout comme on reste circonspect en voyant les vampires de Twilight marcher en plein soleil, on aurait jamais cru pouvoir écouter un album de black-metal baptisé "Sunbather".
On parlera ici bien sur du black-metal musical et de ses plans typiques, et pas de l'éthique et du style de vie revendiqués par les puristes. Car ces dernières années, de plus en plus de formations tentent de révolutionner ce genre pourtant très codifié, avec en fer de lance Liturgy ou Krallice. Après un "Roads to Judah" prometteur, Deafheaven est le groupe montant de ce qu'on appelle vulgairement la scène post-black-metal, se retrouvant même aux côtés d'artistes hypes tels que Disclosure, Savages ou Panda Bear lors du Pitchfork Festival à Paris.
Un groupe de black-metal à la mode ? Voilà qui hérissera les (longs) cheveux de bien des Trve metalleux ! Et pourtant, tout y est : la double-pédale qui martèle comme les démons contre la Porte des Enfers, les guitares frénétiques, virevoltantes, tourbillonnant comme les essaims de mouche de Belzebuth et ce chant à la voix décharnée qui ferait frémir même les pires engeances du 7e Cercle Infernal.
Cependant, dès le 1er morceau 'Dream House', la musique de Deafheaven est lumineuse, loin de la noirceur et de la hargne généralement associées à ce style de musique. On pense aux derniers opus de Blut Aus Nord (la trilogie 777). L'entrée en matière frappe très fort, se déversant comme un flot de lumière dans les oreilles de l'auditeur. Et puis soudain, le flot s'arrête, et ne subsiste qu'une guitare réservée, aux allures d'un morceau d'Explosions In The Sky, dans la plus grande tradition post-rock, avant de reprendre son envol, lourd et majestueux.
Dès ce morceau d'introduction, "Sunbather" démontre que son univers est complexe, rempli d'émotions contraires et pourtant complémentaires : rage mais espoir, beauté mais mélancolie, timidité mais expressivité. Le groupe sait alterner rythmiques explosives, passages épiques et massifs à la Isis et mélodies fragiles. Chacun des 4 morceaux principaux, dépassant généralement les 10 minutes, est un torrent de ces émotions, submergeant l'auditeur.
Les morceaux sont séparés par 3 interludes : 'Irresistible', 'Please Remember' et 'Windows'. Chacun dans un style différent, ils installent une ambiance propre, une petite scène permettant de respirer entre les déluges sonores des autres chansons. Ils montrent également que le groupe ne se limite pas dans sa composition : un labyrinthe de mélodies aériennes, une pièce expérimentale et bruitiste évoluant vers une balade folk et une étrange composition faite de voix étranges discutant dans la rue.
En définitive, "Sunbather" avait commencé en semblant vouloir prendre à contrepied les codes du black-metal. Mais loin d'un Liturgy qui cherche à intellectualiser ce genre, Deafheaven joue sur l'émotion, et injecte des sentiments positifs dans sa musique. Le groupe digère ses références plus que recommandables pour un résultat protéiforme mais jamais incohérent, ni forcé, ni de mauvais goût...