On a éperdument aimé Shining à l'époque de ses trois premiers méfaits, offrandes d'une négativité sinistre qui, avec les ruminations contemporaines de Xasthur, Forgotten Tomb ou Striborg, ont jeté les bases du Depressive Black Metal. Oui, on a aimé Shining quand Kvarforth, son leader, alors âgé de moins vingt ans (!), restait encore dans l'ombre, édifiant en l'espace de trois ans une oeuvre matricielle sucée depuis jusqu'à la moelle par des palettes entières de mornes traîne-savates.
Mais peu à peu, corollaire de ce succès, le Suédois a été happé par la lumière, mettant en scène sa propre mort (en 2007) pour ressusciter ensuite, offrant son corps meurtri et lacéré lors de concerts sacrificiels où le mauvais goût, la provocation ont fini par l'emporter sur la noirceur suicidaire. Kvarforth est devenu au mieux une figure, au pire une bête de foire, usant musiciens et labels. La qualité des albums régurgités depuis 2005 a logiquement suivi le même chemin, perdant progressivement tout intérêt à mesure que son principal auteur troquait l'art noir lugubre de ses débuts pour un Rock dépressif de plus en plus mélodique ne faisant plus peur à personne. Pour tout dire, on ne voit pas trop où Kvarforth veut en venir depuis Klagopsalmer (2009), album du reste déjà en demi-teinte.
Dans ce contexte, la sortie de 8 ½ – Feberdrömmar i vaket tillstånd ne peut que laisser perplexe. Sa numérotation, qui n'a sans doute rien à voir avec Fellini, suggère que celui-ci n'est pas à proprement parler le véritable successeur de Redefining Darkness. Il est en effet constitué de vieux titres, issus de l'époque 2001 - 2003, ré-enregistrés pour l'occasion avec notamment de nouvelles pistes de chant et agrémentés de lignes de claviers.
Là réside son principal intérêt puisque chacun des six morceaux retenus accueille un vocaliste différent, brochette d'invités souvent prestigieux sans laquelle cette resucée n'aurait aucun sens. Si la démarche peut sembler contestable, reconnaissons que 8 ½ – Feberdrömmar i vaket tillstånd redonne un peu de couleurs (noires) à un groupe dont on n'espérait de fait plus grand chose. Quoique facile, la réussite fait plaisir à entendre.
Il faut dire que Kvarforth, dont on avait fini par oublier qu'il peut être un homme de goût, comme son éphémère expérience de label manager avec Selbtmord Services (Leviathan, Ondskapt..) le démontrait, sait toujours s'entourer. C'est donc ni plus ni moins que Gaahl (ex Gorgoroth), Maniac (ex Mayhem), Attila (Mayhem aussi) ou Famine de Peste Noire - choix d'ailleurs le plus étonnant du lot, ce dernier fuyant d'habitude ce genre de collaboration - qui se succèdent au fil des titres, cependant que le maître des lieux demeure présent sur "Through Corridors Of Oppression", la superbe relecture de la "Marche funèbre" de Chopin, dont pour le coup on distingue mal la différence avec l'original si ce n'est l'ajout de notes synthétiques supplémentaires.
Le fait que les invités aient recours à leur langue maternelle, par exemple le hongrois pour Attila (sur "Szabadulj meg önmagadtól") ou le Français pour Famine (sur "Terre des Anonymes"), ajoute sinon à l'intérêt au mois à la curiosité de l'entreprise. Enfin, le choix des morceaux, à la valeur préservée, lesquels comptent parmi les plus réussis du répertoire suédois tels que "Black Industriel Misery" ou "Et Liv Utan Mening", assurait de toute façon à l'ensemble un succès attendu.
Toutefois et nonobstant les bonnes performances des participants (mention spéciale à Famine, malsain à souhait), ces reprises ne valent pas les devancières originales qui suintent une décrépitude unique et possèdent un grain qui n'appartiennent qu'à elles, propre à l'époque où elles ont été gravées. Elles forment un tout avec les albums où elles figurent ; les en dissocier, c'est leur ôter une part de leur âme.
8 ½ – Feberdrömmar i vaket tillstånd rassure-t-il pour autant sur l'avenir de Shining ? Avec Kvarforth, homme imprévisible s'il en est, on ne saurait jurer de rien...