Bien qu'apparu à la fin des années 90, ce n'est vraiment que dix ans plus tard que Sankt Otten prend son envol avec l'album Morgen Wielder Lustig. Trois opus plus tard dont un split avec Majeure, le side-projet de A.E. Paterra (Zombi), le duo formé par Stephan Otten et Oliver Klemm s'est depuis imposé comme un des chefs de fil de ce qu'on pourrait nommer le néo-krautrock, niche musicale qui a vu des musiciens se nourrir des travaux précurseurs de Klaus Schulze, Tangerine Dream ou Ash Ra Tempel qui dans les années 70 ont su créer un art singulier et expérimental qui n'appartenait qu'à eux, au confluent du Rock progressif, de la scène psyché et de l'avant-garde.
Gravé moins d'un an après Sequencer Liebe, on aurait pu craindre que Messias Maschine ne soit qu'un album de plus pour Sankt Otten. Il n'en est en fait rien, au moins pour deux raisons. D'une part, son évidente qualité d'écriture le place naturellement au sommet d'une discographie déjà forte de sept albums. Ces dix pulsations déroulent cette trame instrumentale tranquille et souvent hypnotique qu'on a appris à reconnaître, déambulation synthétique tavelée d'une mélancolie vaporeuse. D'autre part, le disque possède une particularité que ses devanciers n'ont pas : ses nombreux invités qui tous accompagnent le tandem le temps d'un titre, ici à la batterie, là au saxophone...
Le point de départ de cette idée est née de la rencontre entre le groupe et Harald Grosskopf, ancien batteur d'Ashra lequel, admiratif du travail de cette jeune pousse en qui il voit les fils spirituels d'un courant dont il est une figure emblématique, va l'aider à réunir de nombreux musiciens considérés comme des pionniers de la musique électronique et Ambient tels que le saxophoniste Christoph Clöser, le guitariste Coley Duane Dennis ou bien encore le batteur Jaki Liebezeit. Grosskopf lui-même participe à un morceau, "Wenn ein Masterplan Keiner Ist", auquel il donne une dimension superbement pulsative tandis que A.E.Paterra vient hanter derrière les fûts "Nach dir die Sinnesflut" aux sonorités forcément space-Rock et cinématiques.
La conjonction d'une sève créatrice en ébullition et d'une performance pointue aboutit à un album remarquable dans sa variété, tour à tour sombre et trippant ("Mach Bitte, Dass es Leiser Wird"), obsédant ("Du Hast Mich Süchting Gemacht") ou paisible ("Da Kann Selbst Gott Nur Staunen") et culminant lors des douze minutes terminales de "Endlich Ein Schlechter Mensch" dans lequel les synthétiseurs s'accouplent avec un saxophone crépusculaire qui perce l'espace avec une déchirante beauté.
Sankt Otten parviendra-t-il à dépasser ce mètre-étalon de la musique électronique ? C'est tout ce qu'on lui souhaite mais la tâche s'avère désormais difficile...