Ulver fait indubitablement partie de ces groupes inclassables : il suffit pour s'en convaincre de lire les chroniques qui lui sont dédiées sur Music Waves et constater que son parcours est tout sauf un long fleuve tranquille. Chaque album est une nouvelle découverte qui peut surprendre, voire déstabiliser ses adulateurs les plus fervents.
"Messe I.X-VI.X" ne déroge pas à cette règle et tous ceux qui s'aventureront à écouter ce disque, qu'ils connaissent préalablement le groupe ou non, devront faire preuve de patience et d'ouverture d'esprit avant de se décider à savoir s'ils l'apprécient ou non. Car les premières écoutes s'avèrent quelque peu déroutantes et on en ressort avec l'impression d'une musique assez linéaire et enregistrée à la limite du seuil d'audition. Si la seconde est avérée, s'en tenir à la première relèverait de l'injustice.
Pour pleinement goûter à ce disque, quelques précautions sont indispensables. Tout d'abord, voilà un album qui ne supporte pas une écoute superficielle. Oubliez l'idée du fond sonore pendant une séance de bricolage ou dans les transports en commun, si vous espérez communier un tant soit peu, vous devrez consacrer toutes vos facultés à l'écoute. Par ailleurs, l'écoute avec un casque ou une chaîne de bonne qualité est indispensable pour vous permettre de capter toutes les nuances qui font le sel de cet album.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre, la pochette et la présence du Tromsø Chamber Orchestra, la musique n'a rien de véritablement classique. Certes, les morceaux sur lesquels l'orchestre de chambre est le plus présent (le superbe 'As Syrians Pour In, Lebanon Grapples With Ghosts Of A Bloody Past' et 'Son Of Man') ressemblent aux musiques liturgiques et autres stabat mater des musiciens classiques, mais ponctués de discrètes touches contemporaines apportées par des bruits divers. Les séquenceurs et les superpositions de couches sonores répétitives de 'Shri Schneider' ou 'Glamour Box (Ostinati)' rappellent plus Tangerine Dream que Vivaldi, même si la musique finit par se déstructurer totalement, secouée par intermittence de vagues de sons avant de retomber à un niveau sonore quasi inaudible de sons fugaces. 'Noche Oscura Del Alma' va jusqu'au bout du procédé, sans aucune mélodie, murmure continu produit par la torture d'instruments électroniques afin d'obtenir des sonorités distordues. Quant à 'Mother Of Mercy', si les deux premières minutes ressemblent à une tendre ballade rock, rare passage chanté de l'album, le reste se partage entre un bourdonnement sourd et continu et une mélodie lente et répétitive, funèbre, à la limite du morbide.
Triste, sombre, grave, profonde, mystique, autant d'épithètes pourront qualifier la tonalité de cet album éminemment suggestif. Les images surgissent spontanément : on est au fond d'un sombre monastère hanté, des ombres sinistres parcourant le cloître; on suit un convoi mortuaire dans une campagne désolée derrière un corbillard tiré par une jument efflanquée. Complexe, travaillée, émotionnelle, une musique peu commune qui laissera peu de monde indifférent. On aimera ou on rejettera en bloc.