Attention, l'alliance américano-finlandaise entre Mamiffer et Circle, "Enharmonic Intervals (For Paschen Organ)" n'est pas un agrégat de titres indépendants les uns des autres enregistrés par deux groupes qui ne sont jamais rencontrés mais une véritable collaboration à huit mains, fusion entre quatre musiciens visionnaires, Aaron Turner (ex Isis) et Faith Coloccia d'une part, Jussi Lehtisalo et Mika Rättö d'autre part. Connaissant les acteurs en présence, pour lesquels le mot artiste prend tout son sens et n'est pour une fois pas usurpé, comment pouvait-il en être autrement ?
De fait, cette gestation détermine la nature même de l'oeuvre et commande tout ce qui va suivre, création à part entière mais premier d'une série d'albums qui dépasse la simple addition de talents individuels pour au contraire s'imposer comme le fruit d'un ensemble cohérent duquel il parait difficile de distinguer les personnalités de chacun.
Du coup, quand bien même on reconnait par moment la patte du couple américain, notamment dans ces sons de claviers fantomatiques, ces rushs de guitare Drone ou ces lointaines voix caverneuses , "Enharmonic Entervals" ne braconne ni sur les terres Ambient chères à Mamiffer ni sur celle plus progressives, nourries au Krautrock de Circle. Volontairement et avec intelligence, c'est comme si les protagonistes, habités, guidés par une soif d'expérimentation commune, avaient gommé leurs traits de caractères pour enfanter une musique unique, magma d'ambiances étranges, d'ondes bourdonnantes.
L'album a été enregistré en une seule journée dans une église du XIXe siècle, sise dans la ville natale des Finlandais. Le choix de ce lieu atypique confère à ces pistes aux allures de rituels pétrifiés à forte dimension liturgique. L'orgue omniprésent et les choeurs hantés ('Kaksonen 2 (Artemesia)') participent en outre à cette atmosphère religieuse de recueillement. Hypnotique et envoûtant, sombre et spirituel, l'opus a quelque chose d'un pandémonium halluciné où se mêlent vocalises hantées, nappes de Mellotron incantatoires et riffs tordus.
De cette masse sonore grouillante aux confins de l'Ambient jaillit des instants de beauté pure. Citons la suite constituée par 'Vaso Luna' et 'Tumulus', d'une évidente complémentarité. Pour autant, l'écoute est parasitée par des effluves qui explosent lors des montées en puissance le long desquelles sont construits des titres tels que 'Kaksonen 1' ou bien encore 'Vessel Full Of Worms', que perturbe un mur de guitares polluées cependant que des lignes de violon torturées surgissent soudain, plongeant plus encore l'écoute dans un abîme effrayant.
"Enharmonic Intervals" se vit, se ressent plus qu'il ne s'écoute, hostie passionnante de bout en bout qui transporte loin l'auditeur, touche l'imaginaire et, grâce à son pouvoir d'évocation, vous hante longtemps après que ses dernières notes se soient tues.