Comme son nom l'indique, les tricolores de Label Zeuhl s'intéressent aux mondes inventés et portés à bout de bras par le mythique Magma de Christian Vander. Mais, au-delà de la stricte acceptation du terme, le label porte également sur ses bras des musiques d'avant-garde, assurément cousines dans l'esprit et dans la forme de celles se référant au créateur de Kobaïa.
C'est ainsi que la présence de Scherzoo dans le catalogue de la maison est tout sauf une incongruité. La musique du groupe est clairement orientée vers le RIO (Rock in Opposition), style qui, par analogie, est au rock ce que la musique contemporaine est à la musique classique. Oubliés les repères traditionnels, les rythmes carrés, les harmonies rassurantes et les thèmes aux mélodies tonales. Ici, tout n'est que contretemps, harmonies dissonantes, thèmes qui se superposent en étant décalés les uns par rapport aux autres, utilisant des intervalles majoritairement augmentés ou diminués, les gammes faisant ainsi la part belle au chromatisme. C'est donc avec une ouverture d'esprit maximale qu'il convient d'aborder cette deuxième production du groupe mené par François Thollot, sous peine de refermer bien vite la porte à une musique exigeante et aventureuse.
Muni de ces bonnes résolutions, nous pouvons maintenant nous attaquer à la découverte des huit plages qui composent cet opus. A tout seigneur tout honneur, le groupe a placé sa meilleure composition en ouverture des hostilités. En accord total avec son titre, Yin Yang nous propose un mouvement de balancier entre deux contraires, faits de parties calmes s'opposant à des saillies frénétiques de l'ensemble des instruments. La tonalité générale présente bien entendu des sonorités jazzy, et le saxophone particulièrement présent donne une couleur toute particulière à l'ensemble.
Entièrement instrumentale, la suite de l'album va continuer dans la même veine, avec quelques incursions "zeuhliennes" marquées par un travail rythmique exemplaire. L'alternance de style est ainsi spécialement réussie sur l'envoûtant 6 Feets Under, sur lequel le thème de base s'avère singulièrement jouissif, même si l'on déplorera quelque peu son manque de répétition. Il n'empêche que le contraste avec les parties moins consensuelles pour les oreilles non averties est plus qu'intéressant, et engendrera certainement quelques envies d'écoutes récurrentes. Bien évidemment, comme généralement dans ce type de musique, la mise en place est irréprochable et les musiciens se révèlent d'une technicité à toute épreuve, condition sine qua non pour éviter la sortie de route.
Mais, puisqu'il faut également parler des choses qui fâchent, à trop vouloir pousser le bouchon de l'expérimentation, Scherzoo franchit de temps en temps la ligne jaune, celle qui fait que le néophyte passe d'une écoute intéressée à un rejet complet. Ceci est particulièrement vrai sur Vingt-Trois, concentré de musique stressante, qui joue avec les nerfs, notamment par la superposition de sonorités stridentes (guitare + saxophone) lors d'une montée paroxystique vers la folie où la rythmique s'affole et les accords dissonent à qui mieux mieux. Eprouvant, pour ne pas dire insupportable.
Hormis ce dérapage qui finalement ne concerne qu'un dixième de ce deuxième album, Scherzoo produit une œuvre exigeante mais pas inaccessible et qui, au-delà du simple cercle des initiés à une musique avant-gardiste, déclenchera un intérêt certain chez ceux qui ne dédaignent pas s'ouvrir à de nouveaux mondes musicaux, hors des sentiers battus.