Sous un nom de groupe digne des meilleurs "représentants" de l'école japonaise (on pense ici aux Gerard et autres Fromage !), se cache une pointure de la musique contemporaine, j'ai nommé Philippe Gleizes, actuel batteur d'Offering, le dérivatif jazzy de Christian Vander à ses aventures "magmaïennes". Accompagné de trois comparses bretons aux parcours musicaux également très riches, notre artiste nous propose un premier album entièrement instrumental, publié sur le label Soleil Zeuhl.
Après une ouverture aux contours plutôt calmes, le ton de cet album va rapidement être donné dès la deuxième plage, au cours de laquelle le quatuor va laisser libre cours à sa virtuosité, en produisant une musique où l'on sent que l'improvisation tiendra une large place lors des prestations scéniques. L'étiquette (puisqu'il faut bien en coller une) de jazz-progressif est probablement celle qui collera le mieux pour définir la tonalité de l'ensemble, mais on pourrait également y accoler d'autres termes comme free-jazz, ou encore y convier la folie de King Crimson.
A tout seigneur tout honneur, c'est tout d'abord la section rythmique qu'il convient de mettre en avant ; entre un jeu de batterie échevelé et une basse aux lignes mélodiques débridées, le duo Gleizes/Lucas peut faire à lui seul l'objet d'une écoute sélective de la quasi-totalité de l'album, y-compris dans les parties les plus calmes. A contrario de leur traditionnelle fonction accompagnante, ces deux instruments se retrouvent particulièrement mis en valeur et donnent le tempo à des "parties de manivelles" endiablées, sorte de cadences incrustées entre deux récurrences de thèmes dans la plupart des morceaux.
A l'opposé, la guitare et les claviers jouent régulièrement sur les sonorités et les ambiances pour compléter l'espace, avant de se lancer à leur tour dans une frénésie technique propre à faire perdre à l'auditeur les quelques repères qui lui restent. En effet, loin de présenter des harmonies et des mélodies consensuelles, la musique de Caillou use de sonorités dissonantes où la dodécaphonie rôde, et de thèmes qui se superposent sans donner l'impression de se compléter.
Pour des oreilles non initiées, le premier contact est plutôt rude mais appuyer sur la touche "eject" à ce moment serait faire erreur et passer à côté d'une musique qui finit par se révéler après plusieurs écoutes attentives. C'est ainsi qu'au-delà de l'incroyable technicité des quatre instrumentistes, la musique délivrée tout au long des 10 compositions va venir insidieusement s'insinuer dans la tête, tel un venin délivrant petit à petit son poison, au risque d'engendrer une accoutumance que rien ne laissait présager à l'entame de la découverte de l'album.
Bien entendu, Caillou ne plaira pas au plus grand nombre et il est à peu près certain que nombreux seront ceux qui resteront hermétiques à une musique complexe et aux structures peu évidentes, y-compris pour les aficionados d'un rock progressif torturé. Néanmoins, je ne saurais que trop vous conseiller de laisser de côté vos repères habituels et d'aller à la rencontre d'une œuvre de haute qualité qui mérite que l'on y prête une oreille attentive.