Si Toumaï était un animal, il serait le calvaire des scientifiques, tant il est impossible à classifier dans le grand arbre du vivant. Chaînon manquant et rejeton hybride à la fois, sa génétique ultra complexe semble piocher de toute part.
Ces grandes mains, avec de longs doigts et un pouce opposable semblent le lier à Primus, avec cette basse slappée au groove infectueux faisant bouger les fessiers de l'auditeur de manière assurée. Mais voilà que la créature a aussi de longues griffes, toutes droites sorties des branches les plus extrêmes des metallidés, avec des traits aussi reconnaissables que les grosses rythmiques saccadées, les blasts beat furieux, les double-pédales infernales. Que dire de ce pelage gris et soyeux comme la fumée opaque d'un cabaret jazzy, un piano sautillant et trébuchant comme la démarche d'un diablotin farceur? Et que serait l'incroyable phénotype de Toumaï sans ce bec crochu et pourvu de crocs puissants, capable d'entrainer les foules dans une ronde endiablée aux allures reggae tout autant que de hurler sa rage ?
Si Toumaï était une expression, ce serait "WHAT THE FUCK MAN?". Car il semble impossible d'imaginer quel genre d'esprit dérangé a pu accoucher de ce "Sapiens Demens" aussi délirant, furieux, sans queue ni tête mais totalement cohérent. Certainement un moule de la même usine qu'un Mr.Bungle, dont on retrouve la folie, mais également l'humour stupide et le penchant pour le mauvais goût de qualité. Toumaï, c'est un peu un tableau de Picasso : rien n'est droit, rien n'est à sa place, et pourtant le résultat est évident, stupéfiant, plein d'une richesse toute personnelle.
Car en fait, Toumaï est un groupe de musique... Et un bon. Avec son 1er album, le groupe d'Aix-en-Provence arrive à se forger une identité propre en mixant des influences aussi riches qu'inattendues. 'Little Psycho' donne d'ailleurs très vite le ton, avec ses relents reggage, ses breaks grindcore et son piano jazzy. Mention spéciale également à la reprise de la ligne de 'Immigrant Song' de Led Zeppelin sur 'Madness In Mind'.
Le quintet maitrise les changements de rythme et d'ambiances à la perfection. 'Anachron' en est la représentation parfaite : le groupe passe d'une intro pratiquement post-rock, à des cocottes funk, pour finir sur de gros riffs trash metal.
Et on le disait plus haut, mais le groupe distille son humour un peu particulier dans les morceaux. Celui-ci est principalement porté par des lignes de chant délirantes, passant d'un flow reggae à des hurlements simiesques, ponctuant de manière comique certains phrasés metal ('Petit Punk en Ut#m), parfois jusqu'à l'écoeurement. 'Prey of Birds' produit son effet en intercalant entre des passages lourds et oppressants de petites rythmiques disco et colorées.
Au final, Toumaï est Toumaï, c'est-à-dire tout et rien à la fois. Le groupe est à l'aise dans tous les registres, mais réussit le tour de force de les marier avec justesse et efficacité. Attention toutefois, "Sapiens Demens" reste un album très dense et très expérimental. Car si le groupe est à l'aise dans bien des styles, il faudra que l'auditeur le soit aussi pour apprécier tous les recoins de ce superbe album.