Certains jamais-contents pouvaient craindre (ou espérer ?) que l'alliance scellée depuis peu entre Inquisition et Season Of Mist se solde par un échec, voyant le premier mettre en jachère sa légendaire et ténébreuse négativité. Il n'en est rien, bien entendu.
Car ce groupe n'est simplement pas tout à fait comme les autres. Ses lointaines origines colombiennes expliquent peut-être cette singularité. Ou pas du tout. Le mystère reste entier. Installé depuis 1996 aux Etats-Unis, le duo constitué du fondateur Dagon et du batteur Incubus, a peu à peu gravé sa marque, occulte et caverneuse, grand ordonnateur de cérémonies à la noirceur cryptique.
Parfois proche d'Immortal pour le chant de gargouille venant du fin fond de la Moria, le groupe a développé au fil du temps et des offrandes une dimension cosmique qui n'appartient qu'à lui. Tout cela explique à la fois l'impatience qui nous guette à chaque fois qu'un nouvel opuscule approche et le caractère totalement infondé des craintes qui fermentaient chez ceux qui ne le connaissent pas.
Ceci étant, les préliminaires laissent tout d'abord un goût de trop peu, d'inachevé. L'empreinte d'Inquisition est là, indélébile, sculptée dans une roche cyclopéenne. Riffs étouffants, bouillonnant d'ondes abyssales, voix de crapaud et prise de son saturée qui semble avoir été capturée au fond d'un trou noir, dressent un décor reconnaissable entre mille. Trop peut-être, au point de faire de ces dix rituels autant de déclinaisons d'un même schéma. Corollaire de cette (fausse) uniformité, "Obscure Verses For The Mutliverse" a quelque chose d'un bloc compact et unitaire, magma tissulaire oppressant aux limites qui se confondent.
Les écoutes aidant, les nuances surgissent, nombreuses, rendant caduques ce jugement. C'est la marque des grands albums que de dévoiler ses richesses progressivement. Chaque titre possède en réalité son identité. Certains paraissent presque étonnamment mélodiques, tels que 'Inversion Of Ethereal White Stars' ou, et bien que dans une moindre mesure 'Joined By The Dark Matter Repelled By dark Energy' dont les lignes de guitare toutes en (nombreuses) nuances ne phagocytent pourtant en rien sa démoniaque énergie.
Car, pour ceux qui en doutaient encore, le tandem n'a rien perdu de sa brutalité tant conceptuelle que musicale. 'Master Of The Cosmological Black' où alternent coups de boutoir survoltés et pesantes pénétrations ou l'immense et terminale 'Where Darkness Is Lord And Death' qui après une aussi longue que lente entrée en matière instrumentale, ouvre les vannes de la négativité la plus indicible, témoins de cette puissance obscure toujours intacte.
Répandant des ondes telles les répliques de secousses sismiques, les guitares aux allures d'étau qui se ressert, drainant une noirceur infinie, hampes aussi vicieuses que viciées ('Spiritual Plasma Evocation'), érigent un édifice vertigineux aux racines noueuses et bestiales. Elles ouvrent des portes aux dimensions inhumaines vers un univers inconnu.
Le groupe ne se montre jamais aussi impérial que lorsqu'il serre le frein à main, dressant alors une forteresse pétrifiée dans une nuit sans fin, à l'image du morceau éponyme que vrillent ces riffs qui labourent le cerveau y laissant d'éternels stigmates. Les atmosphères chargées d'un mal séculaire et intangible recouvrent tout l'album d'une chape suffocante. Fidède à sa légende, Inquisition ne déçoit pas, accouchant d'un disque à la hauteur de l'attente, subtilement différent de ses aînés.