Figure tutélaire du rock progressif, King Crimson a très souvent été repris par d'autres. Si on ne compte plus les relectures extraites de son matriciel premier opus ('21st Century Schizoid Man', voire aussi 'Epitah'), rares sont les groupes à s'être frottés à "Lark's Tongue In Aspic", sans doute un des albums les plus tordus enfantés par les Anglais.
Pourquoi ce préambule ? Parce que justement Murmur fait partie de ces kamikazes que n'effraie pas cet ovni sonore d'une froide et dissonante beauté, comme le prouve la relecture de 'Lark's Tongue In Aspic Pt. 2', cover aussi magistrale que personnelle qui achève cette deuxième exploration grâce à laquelle nombreux sont ceux qui découvriront cette formation qui végétait jusqu'alors dans l'ornière de l'underground US malgré un galop d'essai déjà remarqué et plus encore un split partagé avec Nachtmystium.
Le fait d'avoir précisément porté leur choix sur cette offrande crimsonienne se révèle un indice précieux quant à l'approche du Black Metal que les Américains cherchent à développer. Expérimental et hermétique sont en effet deux qualificatifs qu'impose d'emblée la pénétration de cet essai difficile et exigeant, labyrinthe vicié dans lequel beaucoup se perdront. Une prise de son à l'état brut, un chant qui hurle, néanmoins et heureusement étouffé par des parties instrumentales mangeuses d'espace bourgeonnant de toute part, des compositions anguleuses à la stratigraphie compliquée, ne facilitent ainsi pas une écoute parfois pénible mais jouissive le plus souvent, un peu à l'image de "Lark's Tongue In Aspic" donc.
On sent que Murmur s'est nourri du travail de Robert Fripp. Il n'y a qu'à écouter le monumental 'Al-Malik', dédale abrupte d'une force noire et souterraine qui n'aurait (presque) pas dépareillé sur "The Power To Believe", pour se convaincre définitivement de cette proximité tant artistique que spirituelle. Fruit de la copulation aussi improbable que sauvage entre Black Metal et Rock progressif, l'oeuvre aux allures de Janus musical oscille entre laideur déglinguée et beauté stratosphérique, capable autant de rebuter, à l'image de 'Water From Water', amorce sévère riche de promesses douloureuses, que d'envoûter tel ce 'Recuerdos' miraculeux, perle instrumentale venue de nulle part et délicieusement psyché, presque jazzy.
Si, une fois arrivé au bout du voyage en forme de Golgotha démentiel, on n'est pas bien sûr d'avoir tout compris (ce 'King In Yellow' totalement déconstruit), il n'en demeure pas moins que le disque réussit à épandre une ambiance empoisonnée qui s'insinue dans l'esprit pour ne plus le quitter. Car au milieu de ce torrent de cassures rythmiques, de breaks hallucinés, le groupe prend cependant soin de disséminer de maigres balises (claviers progressifs, chant clair à la Yakuza sur 'When Blood Leaves') auxquelles l'auditeur se raccrochera, évitant ainsi de faire de cet effort le machin indigeste qu'il était condamné à être sinon.
Est-ce vraiment du Black Metal ? Sans doute que non, celui-ci ne servant aux Américains que de terreau propice à expérimenter. Ce qui ne signifie pas que Murmur soit avare en décharge de violence, bien au contraire, architecte d'un bloc obscur qui se dresse dans la nuit sous la surface duquel pulse une noirceur épidermique. Il est en tout cas un nom qu'il faudra retenir car lorqu'on est capable d'accoucher d'un tel monstre qui ne laissera personne indifférent, on ne peut que durer dans le temps...