Formé en 1974, les Stranglers sortirent leur premier album Rattus Norvegicus (le nom latin du rat, qui sera l’un de leurs symboles) en 1977, date ô combien symbolique pour le mouvement punk auquel ils participeront. Néanmoins, les Stranglers se distinguaient de leurs collègues punks : ils étaient beaucoup plus vieux (le claviériste arbore une jolie moustache), certains avaient fait des études (Hugh Cornwell, le chanteur a préparé une thèse de biochimie à l’université de Lund) et la plupart savaient jouer correctement de leurs instruments (Dave Greenfield, musicien autodidacte, a à ses débuts, a derrière lui une longue carrière sur la route).
Sur le plan des idées, l’esprit de provocation propre au punk était bien ancré au sein de leurs textes au point de les faire passer pour un groupe sexiste. 27 secondes seulement après que l’auditeur ait posé son vinyle sur la platine, retentissent ces mots ‘’Someday, I’m gonna smack your face’’, déclaration d’amour punk à une égérie qu’on souhaite battre jusqu’à l’évanouissement (‘’Sometimes’’). Objet soumis (le bonus Choosey Suzie), voire bonne viande à consommer (’’Peaches‘’, ''London Lady'') ou même à étrangler (’’Ugly’’), la femme possède l’ambivalence baudelairienne. Elle peut également être la Beauté sur le trottoir, redoutable ensorceleuse (‘’Princess of the Streets’’). Néanmoins, le groupe dépasse déjà cette provocation pour un goût prononcé pour l’occultisme (‘’Goodbye Toulouse’’ qui parle de la destruction de la ville rose comme l’avait annoncé Nostradamus), voire des chansons philosophico-sociales (‘’Ugly’’).
La composition des chansons repose souvent sur le même principe : un des quatre instruments introduit est rejoint progressivement par les autres qui jouent à toute allure. La basse de Burnel gronde, fulmine, tandis que la guitare de Cornwell a des relents de blues et que la batterie de Jet Black semble être très influencée par le jazz. Mais ce sont les claviers de Dave Greenfield, influencés par Ray Manzarek, qui vont donner ce son unique, invitant la formation à quelques explorations sonores au-delà du punk, comme lorsqu’ils brisent la structure en boucle de cette porn rap loop song ‘’Peaches’’.
Car cet album est presque progressif : un des joyaux ‘’Down in the Sewer’’, qui compte les mésaventures sexuelles d’un londonien dans les égouts rêvant de créer un empire de rats, comptabilise plus de 7 minutes et s‘articule autour de nombreux soli. L’alternance du choix du chant est également heureux. Il faut voir Hugh Cornwell chanter, la bouche pleine de morgue et l'oeil froid ‘’Get a grip on yourself’’, glaçant son auditeur d’une haine injustifiée. La voix de Jean-Jacques Burnel est plus violente et plus frontale, capable d’évoluer entre la haine (‘’London Lady’’) et un semblant de tendresse blues (‘’Princess of the Streets’’) mais a parfois du mal à marier ces mots en connivence avec la musique (le surécrit mais jubilant‘’Ugly’’).
Premier essai transformé pour un groupe que l’histoire de la musique a longtemps sous-estimé mais qui est toujours actuellement présent... Sans Hugh Cornwell toutefois.