"Alibi Filosofico" est un album comme on n'en fait plus … ou peu. Un pur concept dans la grande tradition du rock progressif des années 70, pas un simple CD qui enchaîne les morceaux (s'ils sont bons, ce n'est déjà pas mal !), mais une 'œuvre' qui associe le visuel et la musique à une histoire, ou plutôt à des histoires, qu'il s'agisse de contes mythologiques, d'heroic fantasy, de l'évocation d'un peintre méconnu ou tout simplement d'amour, chaque chanson faisant l'objet d'un texte explicatif rédigé par Claudio Colombo.
Les illustrations de l'album sont le fruit du talent d'une jeune artiste portoricaine, Emoni Viruet, virtuellement membre honoraire de Pandora, qui avait déjà collaboré avec le groupe sur leur album précédent, "Sempre e Ovunque Oltre il Sogno", mais qui prend du galon sur "Alibi Filosofico" en assurant les chœurs et même le chant lead sur 'Né Titolo Né Parole' qui, comme l'indique son non-titre, se nourrit de ses très belles vocalises au charme envoutant. Empruntant le chemin inverse, Corrado Grappeggia, le chanteur et l'un des claviéristes du groupe (les trois membres jouent des claviers), se transforme en dessinateur pour illustrer 'Tony il Matto'. Et ce n'est certainement pas un hasard si Claudio Colombo joue sur 'Sempre con Me' du cuatro, une petite guitare de Porto-Rico, la patrie d'Emoni Viruet.
Cette fusion entre arts littéraire, graphique et musical se retrouve dans la musique, archétype de ce que tout amateur de rock progressif espère. Les titres font preuve d'une belle diversité, changeant fréquemment de thème mélodique au sein de chaque morceau et brassant une multitude d'influences : métal ('Il Necromante, Khurastos e la Prossima Vittima'), musique de film ('Né Titolo Né Parole'), néo-classique ('La Risalita'), folklorique ('Apollo'), expérimental ('Apollo' derechef) ou jazzy ('Tony il Matto'). La même variété se retrouve dans le chant entre voix masculines, féminines, chœurs, chanson, vocalises, dialogues et titres instrumentaux.
Bref, le disque est tout sauf linéaire et il faut avoir la patience de plusieurs écoutes pour s'y retrouver dans ce foisonnement d'idées presque trop riche, donnant parfois l'impression que le groupe les a jetées toutes en vrac et qu'il les enchaîne sans trop savoir où ça le mène. Mais la production très claire fait bien ressortir les différents instruments, le chant féminin apporte vraiment un plus (le chant masculin au timbre éraillé, très italien, manque quant à lui d'un peu de densité), la musique s'écoute agréablement et le jeu des musiciens est convaincant. A noter la présence de deux invités de marque, Arjen Anthony Lucassen pour un solo de guitare endiablé ('Né Titolo Né Parole') et David Jackson qui apporte une ambiance très VDGG sur 'Apollo' et délivre un long chorus jazz sur 'Tony il Matto'.
"Alibi Filosofico" est un disque difficile à cerner, à la fois dense et fouillis. Si les premières écoutes déroutent et nous laisse désespérément à la recherche d'un fil conducteur, une fois qu'on a trouvé ses repères s'offrent à nous de nombreux moments riches en découvertes, en belles mélodies et en solos virtuoses qu'il ne faut néanmoins pas espérer pouvoir fredonner un jour.