L'image est peut-être facile mais Conan n'aurait pu trouver patronyme plus fidèle, plus révélateur de son art que le nom du héros inventé par Robert E. Howard. C'est du lourd, du préhistorique que cet emprunt évoque. Du massif, celui qui fait trembler les murs et arrache la tapisserie de la chambre qui tout à coup se trouve plongée dans les ténèbres. Sans même ne l'avoir jamais écouté, chose du reste impossible quand on est un vrai doomeux, la simple évocation de ce groupe charrie des images de chape de plomb, de colossales montagnes et de créatures mythologiques qui s'affrontent.
Les Anglais, menés par le guitariste et Jon Davis, ont su se forger en l'espace de quelques années une identité très forte, reconnaissable entre mille, signature plus granitique que velue basée sur le sacro saint Riff, tellurique et caverneux. Presque immuable, leur recette tient du mystère en cela que sa flagrante banalité ne l'exonère en rien d'un puissant pouvoir d'accroche. Ni solo ni accélération salvatrice ne viennent jamais corrompre une trame monolithique et rugueuse mais néanmoins envoûtante.
Le fait d'être désormais signé chez Napalm Records qu'on a malgré tout toujours du mal à considérer comme un temple du doom en dépit d'un catalogue qui ne cesse de s'enrichir de ce genre, n'a (heureusement) rien changé. "Blood Eagle" se veut le digne successeur de "Monnos", qu'il réussit même à dépasser de la tête et des épaules, golem écrasant dont chaque mouvement déclenche des secousses qui se répandent telles d'infinies ondes sismiques.
Entre quelques titres plus trapus comme 'Foehammer' par exemple, se trouvent trois mastodontes qui en font toute la valeur et dans lesquelles s'incarne ce style unique. 'Crown Of Talons' qui semble ne jamais vouloir vraiment démarrer, 'Gravity Chasm', rouleau-compresseur à la rythmique rocailleuse et le terminal 'Altar Of Grief' qui s'ouvre sur des roulements de toms monstrueux, sont comme des blocs de matière brute qui s'enfoncent inexorablement dans les entrailles de la terre.
Si le chant de canard de Jon Davis demeure toujours le point faible de Conan, quoiqu'il se fonde plutôt bien dans ce magma abrasif, il tend cette fois-ci à presque disparaître derrière ce mur ultra heavy que les trois musiciens érigent, écho lointain qu'on finit vite par oublier. Du coup, l'album parait plus digeste que les efforts précédents, moins redondant. Plus dynamique même (tout est relatif), les nuances, les variations ne faisant toujours partie du langage musical des Britanniques. Mais on imagine sans peine les dégâts que devraient causer "Blood Eagle" sur scène, messe tellurique en l'honneur de la déesse doom pour laquel il est naturellement taillé, dans la roche.