"Visceral" porte bien son nom. Premier long format de Cenesthesie, c'est un album mature, qui présente l'univers torturé du groupe bordelais : l'agressivité et la lourdeur des rythmiques se voient confrontées à une mélancolie tendre et mystérieuse. Cenesthesie rejoint donc la scène du metal expérimental à la française, direct et brutal, mais jamais dénué de subtilité.
Contrairement à d'autres représentants du style, comme Hacride ou Hypno5e, le groupe propose une approche moins aérienne de sa propre violence, favorisant un son brut et froid. Les riffs sont tranchants comme des lames de rasoirs ('Croisade', 'Crier Pour Survivre, Pt.1') et les rythmiques lourdes et précises, martelant comme des presses industrielles ('Traces'). La technique musicale des instrumentistes est impeccable, tant dans l'exécution des phrasés mélodiques que dans les signatures rythmiques jonglantes, bien audibles sur 'Seul' par exemple. Le quintet se plait même à aller voir du côté du jazz pour quelques parties joyeusement folles et groovies ('Pour Seule Arme', 'Crier Pour Survivre, Pt.2').
Il ressort de "Visceral" tout de même le défaut habituel du style : trop de contenu. Les morceaux font se succéder les riffs, et il est assez dur pour l'auditeur de s'accrocher à quelque chose. Le chant, parfaitement maitrisé est également très monolithique et contribue donc aussi à l'apparence massive mais impénétrable des parties les plus violentes de l'album.
Mais la force de "Visceral" est d'arriver à lâcher du lest, et à dévoiler ses fragilités. Car au détour de quelques déluges metal se trouve bien souvent un havre mélodique, contrastant avec la brutalité environnante. Ainsi, 'Trève' et 'En Nos Veines' se présentent-elles comme deux interludes mélancoliques au milieu de la fureur des autres morceaux. Les bordelais sont des maitres du changement d'ambiances et arrivent à passer d'une émotion à l'autre, toujours de manière cohérente. 'Genese' est à ce titre un régal. 'Acedie' montre que le groupe sait travailler sur des tempos plus lents avec une tension qui plane sur l'auditeur et un final très fort, rappelant My Own Private Alaska.
Avec "Visceral", Cenesthesie vient grossir les rangs d'un metal à la française, éclairé et intellectuel. L'album demandera pas mal d'écoutes attentives pour livrer ses secrets et on regrettera peut être le manque de repères. Mais la qualité des compositions ainsi que la maitrise des ambiances font des 60 minutes tout rond de cet album un moment intense et riche, plein de surprises et de plaisir.