Au commencement, Dieu créa King Crimson. Enfin, pas vraiment Dieu. Robert Fripp, et il faut situer le commencement au 10 octobre 1969, date de parution de "In The Court Of The Crimson King", communément reconnu comme l'acte fondateur du rock progressif. S'ensuivit une longue période où le personnel de King Crimson gravitant autour de Fripp fut particulièrement mouvant, au rythme des formations, séparations, reformations, transformations et parfois déformations du groupe. Cela prendrait trop de temps à le raconter ici. Il suffit de savoir qu'après avoir adopté une formation de double trio en 1995 (2 guitares, 2 basses, 2 batteries), King Crimson va se fractaliser, selon l'expression de Robert Fripp, dès l'année suivante en "ProjeKcts" jouant en formation réduite et géométrie variable de manière assez régulière jusqu'en 2006, date à laquelle Dieu va replonger sa créature en hibernation.
De cette fractalisation va alors naître deux combos : The Stick Men (Tony Levin, Pat Mastelotto et Markus Reuter) et The Adrian Belew Power Trio (Adrian Belew, Julie Slick et Tobias Ralph). Les deux groupes jouent en concert ensemble avant de se produire en 2012 sous le nom de The Crimson ProjeKct, habile récupération des ProjeKcts de King Crimson, et ressuscitant la formation en double trio de 1995 sans Robert Fripp.
Trois de ses membres étant d'anciens musiciens du Roi Cramoisi (Levin et Belew ont rejoint King Crimson en 1981, Mastelotto en 1994), The Crimson ProjeKct est plus une émanation du protéiforme groupe d'origine qu'un quelconque tribute band et peut sereinement revendiquer le droit de puiser dans le répertoire de son géniteur. Ce dont il ne se prive pas. Au programme, seulement deux titres antérieurs aux années 80, 'Larks Tongue In Aspic, Part II' et 'Red', six titres de la trilogie des années 80 que Tony Levin et surtout Adrian Belew ont marqué de leur empreinte ('Frame By Frame', 'Elephant Talk', 'Indiscipline', 'Thela Hun Ginjeet' issus de "Discipline", 'Industry' et 'Sleepless' tirés de "Three Of A Perfect Pair") et quatre sortis de l'album "Thrak" ('B'boom', 'Thrak', 'Dinosaur', 'Vroom Vroom').
Inutile de dire que pour apprécier ce "Live In Tokyo" dont le concert eut lieu en mars 2013, il vaut mieux aimer la musique de King Crimson et plus particulièrement dans sa période Belew. La plupart des titres choisis font la part belle aux mélodies syncopées, souvent victimes de cassures et de stridences, chargées d'agressivité ou au contraire d'une froideur clinique. Qu'on aime ou pas, on ne peut que saluer la performance des musiciens : techniciens hors pair sans avoir l'air d'y toucher, leur prestation impeccable est d'un dynamisme et d'une justesse bluffants que la qualité de la production, très claire et percutante, met parfaitement en valeur.
Un disque à recommander donc à tous les amateurs de King Crimson et de ses diverses émanations. Les allergiques passeront leur chemin au risque de la crise d'urticaire. Les néophytes pourront quant à eux découvrir l'œuvre de ce groupe légendaire par le biais de cet album qui ne le trahit pas.