Il est des albums qui vous font vous demander à leur écoute comment vous avez pu ignorer si longtemps l'existence du groupe qui l'a produit. Et c'est bien la question que je me pose à l'écoute de "Strigma", quatrième opus en dix-huit ans du groupe transalpin Taproban.
Au cours de sa longue existence, Taproban a connu de fréquents changements de line-up, Gianluca De Rossi, qui assure les claviers et accessoirement le chant, étant le seul élément stable des diverses formations successives. Le groupe qui commet "Strigma" se présente sous la même configuration qu'Emerson, Lake & Palmer, un trio claviers / guitares + basse / percussions. La comparaison ne s'arrête pas là car Taproban pratique un rock progressif totalement ancré dans les 70's et ressemblant parfois à s'y méprendre à ELP.
De base, l'approche artistique du groupe italien s'inscrit complètement dans l'esthétique des géants, Genesis, King Crimson, ELP et autres dont ils s'inspirent. La notion d'art total et d'album conceptuel très en vogue au début des années 70 prend tout son sens avec Taproban. Pour sa sortie, "Strigma" a fait l'objet à Rome d'un spectacle multimédia avec chorégraphie et projection d'images à l'appui. Par ailleurs, il clôt une tétralogie commencée il y a douze ans, chaque disque figurant l'un des quatre éléments, "Strigma", dont le titre est tiré du mélange des termes latins "Strix" (Sorcière) et "Stigma" (Marque), reprenant celui du feu, associé à l'image de la femme d'où la pochette suggestive de trois corps féminins levant les bras au ciel dans une brume rouge, telles des sorcières sur leur bûcher.
Si les codes du rock progressif old school sont respectés à la lettre, il en est de même pour la musique. L'album reprend trois longs titres, prétexte là encore à faire le parallèle avec le "Close To The Edge" de Yes ou le "Pawn Hearts" de VDGG, entièrement instrumentaux à l'exception d'un court passage chanté ne dépassant pas 1'30" sur 'La Porta Sul Buio'. Les mélodies multiplient les cassures, chaque thème dépassant rarement les deux minutes. Si les transitions sont parfois abruptes, une mélodie s'arrêtant, une autre sans rapport lui succédant, la tonalité globale de l'album est telle que ces brusques changements paraissent naturels. Utilisant abondamment les ressources des claviers électroniques, sans que cela n'éclipse les autres instruments pour autant, la musique est un immense flux et reflux de moments forts et doux, un maelstrom de thèmes aussi purs et beaux que courts mais dont la juxtaposition, loin de désorienter par son côté patchwork, charme et emporte totalement l'auditeur dans des mondes oniriques, baignés par une atmosphère triste et romantique, voire romanesque.
Les influences de Genesis (le passage de 7'20" à 10'05" du premier titre est un pastiche appuyé de 'The Cinema Show'), King Crimson et ELP (y compris dans son aspect pompier, comme le prouve la toute fin de l'album), mais aussi à dose plus homéopathique celles de la musique classique contemporaine et Klaus Schulze, sont à la fois sensibles et parfaitement intégrées dans une quintessence d'un rock progressif qu'on croyait à jamais disparu. L'album est un hommage à une période révolue et mérite de figurer aux côtés des grands classiques de cet âge d'or.
A n'en pas douter, l'écoute de "Strigma" déclenchera des réflexes pavloviens d'addiction chez les plus anciens. Indispensable à tous ceux qui sont tombés dans le chaudron du rock progressif quand ils étaient petits.