Que savez-vous de la Berlin school en dehors du fait qu'il s'agit d'une école allemande, ce qui prouve à la fois votre culture sur les capitales européennes et votre don pour les langues ? La Berlin school est le nom donné à un ensemble de musiciens, en majorité allemands, qui au début des années 1970 initièrent un nouveau mouvement musical dérivé du Krautrock dans lequel les synthétiseurs occupent un rôle central avec de longs développements hypnotiques. Les chefs de file s'appellent Tangerine Dream, Ash Ra Temple et surtout Klaus Schulze.
Bien moins connu, Bernd Kistenmacher, dont le patronyme le situe déjà sans équivoque dans le bon pays, est pourtant un digne représentant de cette école où il ne peut passer pour un débutant. En effet, son premier disque, "Dancing Sequences", est sorti il y a trente ans et a été suivi depuis par une vingtaine d'albums dont "Utopia" est le dernier rejeton.
Et quel rejeton ! N'hésitons pas à dire tout de go qu''Utopia' se situe au même niveau que les meilleurs albums de Klaus Schulze et qu'un blind test permettrait difficilement de ne pas attribuer au maestro cet opus sans défaut. Le premier titre, 'We Need A New Utopia', est un long epic de près de 25 minutes bien dans le style de ce dernier. Orientalisante pendant les six premières minutes, la musique déroule par la suite au rythme linéaire des séquenceurs une mélodie qui enfle et décroit en gracieuses arabesques, des cascades de notes de violon et de guitare grinçantes rebondissant sur des murs de percussions et des nappes de synthétiseurs.
Les deux titres suivants, d'une longueur à peu près égale, soufflent le chaud et le froid. Le froid d'abord avec 'Fearless' dont les notes étirées, diffuses, semblent errer telles des âmes fantomatiques au sein d'une brume irréelle. Faut-il encore parler de musique ici, ou bien plutôt de couleurs sonores ? A l'opposé, le bien nommé 'Born From Chaos' submerge l'auditeur sous une vague déferlante de synthétiseurs psychédéliques et de percussions martelées par Burghard Rausch, batteur d'Agitation Free, autre groupe allemand des années 70. 'Land Of Hope', après une courte introduction de guitare hendrixienne, entame un lent crescendo qui conduit d'une délicate ritournelle au piano à un final guitare/batterie plein de punch en passant par une mélodie décontractée façon Ennio Morricone. L'album se conclut par le titre éponyme, seul titre chanté par la voix grave de Vana Verouti, une artiste grecque qui s'était déjà illustrée sur "Heaven and Hell" de Vangelis. Suivant une trame linéaire d'un bout à l'autre, il clôt l'album par une note apaisante et sereine, presque new age.
Grâce à des ambiances diversifiées et une qualité dans l'écriture qui ne se dément jamais, Bernd Kistenmacher réussit à captiver l'attention d'un bout à l'autre. Après tant d'années passées dans l'ombre de son talentueux compatriote, il nous donne l'opportunité avec "Utopia" de réparer ce qui ressemble fort à une injustice.