Cinq mois après la sortie de ''Rattus Norvegicus'', les Stranglers moulent une nouvelle empreinte discographique: ''No More Heroes''. Rapidité d'exécution, ou punk oblige, la moitié des morceaux avaient été en fait composé lors de l'enregistrement de l'album précédent. La pochette nous présente un faire-part de décès et pas des moindres, celui des "heroes" que chantait en même temps David Bowie... Les héros sont morts !
Cette rupture avec le passé est ingénieuse, car elle s'applique au travail du groupe qui tend à s'éloigner d'un punk dont ils avaient élargi les horizons (notamment grâce au blues et au rock progressif). Certes on retrouve sur cet album, des chansons énergiques, hargneuses, magnifiées par la voix rauque de Jean-Jacques Burnel et de sa basse électrique ('Something better change'), d'autres plus provocantes ('I feel like a wog'), voire salaces à la limite de la pédophilie ('Bring on the nubiles' et son jouissif mais défendu crescendo sur ''Lemme lemme fuck ya fuck ya (x2)/Lemme lick your lucky smiles'') défendues par son créateur, Hugh Cornwell dont la voix froide pince-sans-rire est capable d'énoncer les plus grandes horreurs sans sourciller (''And the first commandment reads/That human flesh and blood/Is sacred/Until there is no more food'' sur l'intro de 'Straighten Out') ou encore des chansons glauques comme le 'Peasant in the big shitty' dont la version live figurait sur l'album précédent.
Mais nos héros Etrangleurs ne sont pas morts pour autant, la figure du spectre serait plus appropriée pour montrer que le punk continue de hanter cet album. La production est moins poisseuse que sur le premier opus et met en avant les synthétiseurs et orgues du génial Dave Greenfield, tantôt inquiétants (l'intro d' 'I feel like a wog', 'Peasant in the big shitty'), en roulis (pour symboliser le corps noyé dans les flots de la Tamise du fan ''Dagenham Dave'') voire désespérés (l'intro et le solo final d' 'English Towns', l'une des chansons les plus romantiquement désespérées). Souvent comparé à Ray Manzarek, ce dernier dépasse pourtant de loin son modèle au jeu parfois trop homogène.
La violence de la basse compensée par les orgues de velours apportent aux Stranglers un son plus rock que l'on retrouve sur le tube interplanétaire 'No more heroes', qui premièrement prouve que le punk des années 70 n'était pas toujours joué par des incompétents, deuxièmement qu'il pouvait être cultivé (on parle de Shakespeare, Leon Trotsky, Sancho Panza, de Rome brûlante) et troisièmement qu'il pouvait être beaucoup plus pertinent socialement que certains pistolets sexuels ou autres disputes (les Stranglers ont compris bien avant tout le monde que la révolution punk, comme toute révolution allait s'essoufler...).
Mené par une boucle synthétique de Dave Greenfield, la voix de Hugh Cornwell rappelle qu'il est trop tard pour pleurer voire d'exulter en hurlant des slogans périssables 'No future' car à grands pas se dessinaient les signes d'une société instable économiquement laissant place à une nouvelle sainte trinité évoquée par les feulements lubriques de Dave Greenfield ('Productivity/Credibility/Impossibility'), société dangereuse ('5 minutes' c'est le temps qu'il suffit pour violer une fille dans un squat ''Five minutes and you are almost dead''), uniforme (les immeubles impersonnels de banlieue sur 'English towns') , un système scolaire d'apparence rigide mais laxiste voire criminel (la longue piste 'School' et sa batterie pesante, écrite avant The Wall), tout cela finissant dans la mort et le cannibalisme (le prophétique 'Rok it to the moon') sauf si les hommes en noir décident d'agir...ce qu'ils feront sur le prochain album.
Au final, "No More Heroes" est une très grande réussite musicale des Stranglers qui se démarque de ''Rattus Norvegicus'' tout en conservant une grande partie de sa hargne méthodique et en y ajoutant une critique sociale très en avance sur son temps. Petite devinette : quel est le point commun entre cet album et le ''Revolver'' des Beatles ? Les trois premières pistes de l'album sont chantées par un chanteur différent.