Cinquième album de Christophe produit par Motors, ''Samouraï'' occupe une position délicate : il succède en effet à deux opus réputés indémodables classiques et acclamés par la critique, ('Les paradis perdus'/'Les mots bleus') et précède une petite baisse de régime ('La dolce vita', 'Clichés d'amour') contredite par les deux réussis 'Le beau bizarre' et 'Pas vu pas pris' avant la traversée du désert (treize ans d'absence discographique avant ''Bevilacqua'' en 1996).
Sur cet opus, Christophe est accompagné de la même formation que sur ses albums précédents, le futur groupe de rock progressif Bahamas (auteur de l'album 'Le voyage immobile'), avec lequel il s'est déjà aventuré au-delà des chansons standards de 3 minutes ('Emporte-moi', 'Le dernier des Bevilacqua') et qui aura également une incidence progressive sur cet album, au grand dam des scandalisés pour qui un chanteur de variété ('Aline'), voire de charme ('Succès fou'), ne pourrait avoir sa place sur ces murs marmoréens.
Boris Bergman, auteur du tube 'Rain and Tears' d' Aphrodite's Child et futur complice contrarié d'Alain Bashung remplace Jean-Michel Jarre pour la confection des paroles de cinq chansons. Si on retrouve la trace de son humour faisant la part belle aux calembours sur 'Le cimetière des baleines' (la dernière piste et pourtant la moins convaincante de l'album), l'ambiance générale est moins proche du cétacé que de l'ossuaire.
L'album débute avec quelques notes graves et lancinantes de piano, un modus operandi de l'artiste, dont semble s'échapper furtivement une voix androgyne déclamant un texte étrange faisant autant la part belle à Yukio Mishima (le 'J'étais un samouraï' nous donnant un point de vue post seppuku), qu'à Leopold von Sacher-Masoch en passant par Philip K.Dick (''Je ne suis plus qu'un jouet/Qui se demande s'il existe'', critique de la production de prototypes à la chaîne?) soutenu par la lourdeur des instruments. Cette histoire d'amour contrariée est brutalement interrompue par une accélération de rythme conduite par une basse énervée, faisant évoluer les paroles dans un revirement quasi phallocrate. Le chanteur semble prendre un malin plaisir à pousser sur sa voix passant aisément de l'aigu au grave.
A l'exception du pur blues 'Tant pis si j'en oublie', qui annonce les expérimentations sonores de 'Bevilacqua' et qui se présente comme l'antiversion de la chanson 'God' de John Lennon où Christophe cite le nom des chanteurs qui l'inspire, en s'excusant du caractère non exhaustif de l'exercice, les autres chansons vont participer à détruire de l'intérieur l'image qui lui colle à la peau (''yéyé pourri" selon un critique). 'Merci John d'être venu', la seule chanson écrite par le chanteur, a une apparence plutôt baba cool voire fleur bleue mais possède un final acide. Christophe se souvient d'un mariage imaginaire où les Beatles s'invitent et dans lequel John Lennon s'en va finalement consommer l'hymen avec la jeune femme toute fraîchement mariée. '...Paumé...' cueille des fleurs de dépression avec sa basse lourde puis son solo de guitare sacrificielle succédant à un solo d'harmonica qui enfonce le cercueil de la chanson pop d'un clou de blues.
Le sommet de l'album est atteint par le triptyque 'Pour que demain ta vie soit moins moche', voyage initiatique de plus de onze minutes. Cédant la place aux innombrables ruptures de rythme passant d'une atmosphère lénifiante (le final instrumental de la première partie) à un réveil brusque, puis grandi dans ses dimensions épiques qui évoquent les cimes enneigés de Close to the edge de Yes (sur la deuxième ''J'ai du grimper trop haut dans le ciel''/''I get high''), il s'agit du titre le plus progressif de l'album dans tous les sens du terme.
Arborant une magnifique pochette, 'Samouraï' est un rendez-vous manqué entre Christophe et son public, boudant peut-être ses tentatives d'expérimentations plus radicales que par le passé. Condamné comme Nino Ferrer, Christophe est avant tout un vendeur de singles. Ecouter 'Samouraï' aujourd'hui n'est pas une gageure, ni un plaisir coupable. Il prouve d'une façon sombre qu'un artiste peut parfois évoluer plus rapidement que son public.