Derrière le nom Brieg Guerveno se cache l'identité d'un chanteur du même nom, leader non pas d'un groupe de rock breton, mais d'un groupe de rock chantant en breton. La nuance est essentielle, car si les chansons sont magnifiées par la voix suave de son chanteur capable d'émouvoir dans une langue aux sonorités riches, les compositions ne se tournent pas vers le folklore breton, malgré les manifestations des instruments à corde celtiques voire d'un accordéon sur l'ultime piste. ''Ar Bed Cloz'' (le monde fermé dans la langue d'Auguste Brizeux), deuxième album du trio breton après ''Neziou Dejou'' (2011) se présenterait comme un compromis entre une tradition progressive tournée vers le passé et une modernité aux sonorités plus hard, voire capable de flirter avec le métal ou l'electro (l'introduction de 'Dianket').
Brieg Guerveno, ne voulant pas trancher, nous propose ainsi un album antinomique, parsemé de ballades douces ('Skornet') et de morceaux plus survoltés dont la cohérence d'ensemble ne souffre en aucun cas, à tel point que le barde breton pourrait envisager une double carrière schizophrénique. Son plus grand talent réside dans l'unité entre les trois membres, la basse tranchante de Xavier Soulabail, la batterie martiale de Joachim Blanchet (déchaînée sur 'Traon An Hent') et la plus grande révélation de l'album, la voix angélique de Brieg Guerveno (elle tutoie celle de Christian Décamps, la théâtralité en moins), capable de recueillement et de fureur épique. Elle atteint d'ailleurs des sommets sur 'Al Liver', dans laquelle ce dernier s'affranchit de toutes ses influences pour composer une bataille humaine tour à tour déchirante, émouvante, apaisante, folkisante, heavy, prog, atmosphérique. L'essence de Brieg Guerveno se retrouve dans les trois premières chansons, suivant plus ou moins cette même recette. La très bonne production permet aux invités de bénéficier d'un espace de jeu sans limite, les cordes magnifiant un ensemble déjà très riche, sans y donner de lourdeur.
Malheureusement, la juxtaposition téléphonée des ballades et des morceaux plus bruts et de surcroit, la composition des morceaux donnent à l'album une impression de redondance qui n'est hélas jamais évacuée au fil des écoutes. Les multiples influences ne semblent pas encore totalement digérées et le groupe semble parfois être en pilotage automatique voire tourner en rond en espérant retrouver une ligne de conduite. Si cela marche sur certains morceaux, comme sur le mélancolique 'Dor 911' et son final atmosphérique quasi expérimental, la plupart des autres morceaux sont susceptibles de provoquer un sentiment de déjà entendu voire pire de susciter l'ennui.
Ce second essai de Brieg Guerveno est ainsi une demie réussite, une promesse enchanteresse confiée aux côtes granitiques de la mer d'Iroise, mais aussi un semi-échec, tant le potentiel du groupe semble sous-exploité sur certaines pistes. Ar Bed Cloz'' est un album sympathique, que, contrairement à Erich Von Stroheim, vous serez bien en peine de haïr.