3 ans après l'euphorie générale suscitée par le précédent album ''4603 Battements'', Lazuli poursuit son chemin avec ''Tant que l'herbe est grasse''. Considéré par beaucoup comme le meilleur groupe français, voire comme la relève d'un rock progressif à la française (donc héritier d'Ange), cet album ne saurait démentir son succès légitime.
L'équipage est similaire à la précédente embarcation qui avait failli chavirer après la mutinerie ayant eu raison de presque la moitié de ses matelots. Cependant, 'Tant que l'herbe est grasse' est moins conceptuel que
l'album précédent, Lazuli livre plutôt une collection de regards parfois apaisés, parfois amers, parfois mélancoliques sur le monde, un monde qui apparaît comme
vecteur de colère comme le soulignent certaines pistes telles que 'Multicolères', 'Déraille', ou alors un surprenant engagé 'Prisonnière
d'une cellule mâle'. Le côté world music, et rock progressif sont légèrement mis de côté pour l'exploitation de sons plus bruts, plus rocks et plus directs. La léode a forgé l'identité du groupe, elle est donc encore très présente, notamment sur 'Une pente qu'on dévale', apportant également beaucoup de fraîcheur aux ballades.
L'album débute judicieusement par le très énergique 'Déraille', qui semble être un compromis entre la douceur et la sensibilité de la pop et la lourdeur, l'inquiétude du rock industriel, à grands renforts de guitares et de percussions. Tout débute in medias res, sans prendre la peine de préparer l'auditeur à un tel choc. Et pour cause, Lazuli tire la sonnette d'alarme d'un monde promis à l'accident frontal. La voix de Dominique Leonetti se fait tantôt à la limite du murmure, tantôt s'envole en mille explosions lyriques sur les refrains. Si le texte est inquiétant, le groupe ne se prive pas de quelques jeux de mots amusants. Une chanson entraînante qui pourrait même bénéficier de passages à la radio.
La verve poétique de Lazuli est intacte comme le signale un autre sommet de l'album 'Prisonnière d'une cellule mâle', dans laquelle on pourrait trouver plus de mille exemples quotidiens de soumission à laquelle le titre fait référence en même temps qu'il joue avec les mots. Si la musique rappelle inévitablement un célèbre morceau débutant par une guitare acoustique, l'ensemble fait de nouveau mouche, confirmé par les vocalises finales (afin de soutenir la ''femme idéale''?). 'Tristes moitiés' se place quant à elle entre romantisme banksien et inquiétude nostalgique, soutenu par un texte à la sensibilité littéraire mais très chargé en émotion. La production est une véritable caresse du vent, qui évoque le souffle du 'Cloudbusting' de Kate Bush.
Les deux pistes les plus progressives de l'album sont 'L'essence des Odyssées' et 'Les courants ascendants'. La première nous permet de retrouver un exotisme arabisant, et une partie instrumentale finale de grande envergure, mais échoue sur ses refrains qui semble accuser une perte d'intensité. A nouveau, ce morceau rappelle une autre chanson, le 'Coma coma coma' d'Indochine. La seconde piste clôt l'album et permet la purgation de toute la colère contenue dans l'album, dans un style plus proche du hard rock, avec sa guitare assourdissante.
Hélas, si certaines pistes sont très séduisantes, Lazuli a les défauts de ses qualités. Des rimes parfois assez convenues (braise/falaise sur 'Homo sapiens', 'sombres/ombres' sur 'J'ai trouvé ta faille'), des paroles qui accumulent des clichés ('Homo sapiens') voire quelques progressions lyriques factices jouant sur des bons mots au détriment de la licence poétique viennent parfois gacher la fête. Lazuli est même parfois trahi par son envie de bien faire à l'image du titre qui s'annonçait le plus prometteur, à savoir 'J'ai trouvé ta faille' qui voit apparaître un invité de renom : Fish. Ce dernier intervient en fin de morceau et malgré une interprétation de grande classe, l'ensemble donne l'impression d'écouter un collage sonore sans aucune continuité musicale malgré un tapis de rose instrumental annonçant l'arrivée du géant écossais.
'Tant que l'herbe' est grasse s'inscrit dans la continuité de '4603 battements', en apportant un peu plus de dureté et de lourdeur au propos. Cet album peut être une bonne porte d'entrée pour tout néophyte qui voudrait écouter un groupe conjuguant une musique et des paroles plus sophistiquées que ses contemporains mais qui parfois s'apparentent à l'écriture de lycéens doués (l'adjectif est très important).