POUR
Voilà un disque qui ne s’embarrasse pas de superflu. “Sans Abri”, troisième album du Canadien Moran, réussit le mariage entre le folk américain et la chanson française. L’essentiel est là : une guitare acoustique déployant des lignes mélancoliques, une basse discrètement jazzy, des percussions relativement effacées et quelques touches de violoncelle, et surtout une voix, grave et éraillée, et des textes. les Québécois sont de grands défenseurs de la langue française, et Moran se pose en digne héritier des Ferré et autres Delerm, entre impressionnisme et réflexion.
Les mélodies vocales sont simples et ténébreuses, rappelant par instants Léonard Cohen, et la poésie de Moran se pose naturellement sur les accompagnements volontiers atmosphériques, avec quelques ponts musicaux permettant à l’auditeur de bien vivre les textes (admirable ‘Darfour’).
Un album intimiste qui plaira à n’en pas douter aux amateurs d’émotions discrètes, à savourer au coin d‘une cheminée par un soir d’automne, quand l’humidité assiège les habitations.
CONTRE
Cinquante deux minutes, ça peut paraître bien long. Surtout quand les ambiances sont uniformément sombres ... Grâce soit rendue à la qualité des arrangements, minimalistes mais judicieusement appropriés, qui tissent une atmosphère très particulière, globalement ténébreuse pour ne pas dire cafardeuse. Aucune éclaircie tout au long de l’album, une immersion dans un monde maussade que le timbre de Moran n’égaye pas, se retranchant dans un registre grave et peu expressif, laissant la parole aux textes.
Et c’est bien là le problème. Que cherche-t-on en écoutant un morceau ? La réponse est évidemment toute subjective. Personnellement, c’est la musique qui me parle en premier, le texte ne vient qu’en appui. Ici, le contenu se veut poétique, mais le rendu est le plus souvent évasif - donc pas évident à saisir, cf ‘Ours’ - et l’écriture alterne les jolis traits et les banalités, voire les allusions absconses. Il est possible que je sois un amputé de la poésie, un infirme de l’allusion littéraire, mais la plupart des textes ne me parlent pas et même m’obligent à un effort de compréhension - souvent irrésolu - qui est à l’opposé de ce que je recherche en matière d’écoute musicale (de la même manière, le free-jazz ou la musique sérielle me sont totalement hermétiques).
Il est donc à craindre que “Sans Abri” se voie réservé aux amateurs de décryptage d’intentions allusives au troisième degré. Dommage, la chanson française est capable de donner des résultats plus appréciables, dans la lignée des Gilles Vigneault ou Félix Leclerc.