Habituellement, une chronique digne de ce nom présente dans son introduction une courte biographie du groupe dont il est question, ou à tout le moins le point sur son activité récente. Dans le cas qui nous préoccupe, à savoir la généalogie tumultueuse de Yes, tout juste pourrons-nous mentionner qu'en deux albums consécutifs sortis à 3 ans d'intervalle, la bande à Chris Squire se fend d'autant de chanteurs qu'en 40 années d'existence, Jon Davison (Glass Hammer) se substituant au pourtant très convaincant Benoit David. Une fois ces mondanités posées, place maintenant à la musique, pour laquelle de grandes attentes étaient nées après la publication de Fly From Here, album certes composé pour partie de titres déjà anciens, mais porteur de grands espoirs pour le nième redémarrage de Yes.
Et pour concrétiser cela, place tout d'abord à Believe Again, magnifique titre qui aurait toute sa place … sur une œuvre d'Asia (et qui aurait bien remonté le niveau du récent Gravitas soit dit en passant !). Les claviers soyeux de Geoff Downes et ses harmonies consensuelles donnent en effet à ce titre introductif une teinte très FM que le format couplet/refrain ne viendra pas démentir, et il faudra un break instrumental d'une petite minute en milieu de plage pour retrouver un peu de couleur "yessienne", avec une rythmique syncopée et des harmonies un peu plus torturées. En résumé, un très bon titre, brillant, mais pas de ceux que l'on attend sur un album de Yes.
Et la suite me direz-vous ? Déconcertante. The Game poursuit dans la lignée de cette première plage, mélodie facile et refrain accrocheur, tandis que To Ascend nous renvoie vers Roger Hodgson, la voix de Jon Davison s'en rapprochant régulièrement lorsqu'il abandonne le clonage de Jon Anderson. Dans la même lignée, Light of the Ages introduit néanmoins quelques développements allant au-delà de la simple chansonnette, ce que ne font ni Step Beyond et sa rythmique basique aux pieds d'argile, et encore moins It Was All we Knew, avec ses choeurs à la tierce et son manque d'inspiration flagrant. Mais où est donc passé LE son de Yes ? Ses breaks instrumentaux techniques ? Ses harmonies pas toujours agréables aux oreilles mais ayant le mérite de susciter une attention redoublée pour en saisir toutes les nuances ? Rien de tout cela par ici.
Alors de ci de là, on trouvera bien quelques saillies de Steve Howe pour éviter l'assoupissement, mais tellement livrées à elles-mêmes que leur effet en devient inopérant, surtout quand ces soli se retrouvent posés sur un basique morceau de rock carré (In a World of our Own). Seul titre évoquant le Yes passé (du moins celui de Billy Sherwood, pas forcément la meilleure époque), Subway Walls possède au moins le mérite de ne pas sombrer dans la simplicité, et permet enfin aux quatre instrumentistes de se défouler un peu les doigts, entre deux "gimmicks" mélodiques plutôt bateaux.
Avec ce nouvel album, Yes a reconnu vouloir simplifier son propos, pour le rendre plus accessible. De là à confier les clés du camion à Jon Davison (qui signe 7 titres sur 8 !) et à en faire des plages si ce n'est insignifiantes pour certaines, du moins pas à leur place pour les meilleures d'entre elles, il est un pas que l'on n'imaginait pas le groupe capable de franchir, probablement au grand désespoir de ses fans les plus fidèles, dont votre serviteur.
Cependant, Heaven and Earth est-il un mauvais album ? Peut-être pas selon l'angle que chacun voudra bien observer lors de son écoute. Pour ma part, l'histoire de ce groupe est bien trop présente dans mon esprit pour arriver à en faire table rase et lui accorder tout mon crédit sur ce coup là.