Le nom ne vous est peut-être pas familier. Pourtant ce quinquagénaire hante de sa voix désenchantée le petit monde du rock atmosphérique depuis déjà plus de trente ans. Entre apparitions en guest star, sur des albums de Nosound ou d’OSI entre autres, et expériences en duo, en 1994 avec Richard Barbieri, claviériste de Porcupine Tree, ou plus récemment en 2011 avec Giancarlo Erra (Nosound) sous le nom de Memories Of Machines, Tim Bowness ne chôme pas. C’est cependant incontestablement sa collaboration avec le multi-instrumentiste touche-à-tout de génie Steven Wilson au sein de No-Man qui reste à ce jour sa plus belle carte de visite.
Si "Abandoned Dancehall Dreams" est le second album solo de Tim Bowness, son célèbre compère de No-Man ne l’abandonne pas pour autant puisqu’il a réalisé le mixage de cet opus, une activité à laquelle il semble avoir pris goût ces dernières années. De même, Bowness profite de la contribution de sa "famille" musicale, les musiciens de No-Man dont certains ont aussi participé à Memories Of Machines ou communié dans des groupes plus anciens comme Samuel Smiles ou Henry Fool. Enfin, il s’adjoint les services de quelques invités tels Pat Mastelotto (King Crimson), Colin Edwin (Porcupine Tree) ou Anna Phoebe (Trans-Siberian Orchestra).
Ne vous fiez pas au titre d’ouverture : la rythmique très en avant dynamisée par une batterie virevoltante n’est pas représentative du reste de l’album bien plus calme et atmosphérique, même s’il est parfois traversé de brefs soubresauts d’énergie et qu’il se conclut également par un duo batterie/basse clinquant. Mais le plus souvent les titres sont de lents crescendos/decrescendos de nappes de claviers ou de cordes qu’un violon ou une guitare vient déchirer sporadiquement. N’en concluez pas que l’album est ennuyeux, les variations sont nombreuses, mais toutes en nuances. Il est d’ailleurs recommandé d’écouter cet album au casque pour profiter pleinement des multiples effets qui tapissent discrètement les arrière-plans des titres et de mieux appréhender toute la profondeur et le soin apportés aux compositions.
Pivot de l’album, le chant de Tim Bowness est à la fois inspiré et monotone : inspiré parce que l’intonation pétrie de sincérité et d’émotion touche systématiquement une corde sensible, monotone parce que le procédé utilisé (chant mezzo voce chargé de spleen) revient invariablement sur tous les titres. De là vient peut-être cette impression de lassitude qui s’empare de l’auditeur au centre de l’album dont ‘Dancing For You’ et ‘Smiler At 52’, à l’ostinato crispant de la boîte à rythmes, constituent le ventre mou.
Fort heureusement, "Abandoned Dancehall Dreams"recèle également de petits bijoux tels ce ‘Smiler At 50’, mêlant tour à tour mélancolie sereine, ampleur majestueuse et chorus final dramatique à coups de riffs de guitare, pleurs des violons et chœurs de damnés, ou encore le magnifique ‘I Fought Against The South’, sur lequel douleur, tristesse et regrets suintent de chaque note, où la voix délivre une émotion palpable, admirablement soutenue par des violons mélancoliques et funestes qui vous glacent le sang dans les veines, où la musique devient une marche funèbre prenant une intensité dramatique dans un crescendo halluciné. Le terme atmosphérique prend toute sa dimension dans ce final parfaitement réussi qui pétrifie l’auditeur dans sa glaçante épouvante.
Tous les amateurs de musique nébuleuse, mélancolique et romantique devraient apprécier cet album qui, s’il ne révolutionne pas un genre très stéréotypé, s’avère néanmoins plein de charme.