On peut donner plusieurs définitions du rock progressif. Pour certains, ces deux mots impliquent une musique apportant un progrès, une nouveauté par rapport à ce qui se faisait auparavant. Pour d'autres, cela signifie que la musique progresse, évolue au cours d'un même titre, ou d'un morceau à l'autre, contrairement aux ballades bâties sur une alternance de couplets et de refrains. Syndone pourrait bien réconcilier tout le monde avec son dernier album.
Si l'on s'en tient à la progression au sein d'un même morceau, les titres qui composent cet "Odysseas" sont tout sauf linéaires. Pas de couplet/refrain mais du vrai progressif passionné et passionnant, rempli de ruptures et de surprises, de délires d'artistes, de démesure, nécessitant une pleine attention pour être apprécié à sa juste valeur. Les mélodies sont à ce point floues qu'on peut parfois passer d'un titre à l'autre sans même s'en rendre compte, porté par l'élan d'une musique mélodieuse qui se développe et se construit sans cesse.
Quant au renouveau qu'apporte "Odysseas", ce n'est pas tant à la musique en général, son progressif étant fortement ancré dans les années 70, qu'au parcours intrinsèque de Syndone qu'on le constate. Car autant l'album précédent "La Bella E La Bestia" était taillé sur mesure pour son chanteur Riccardo Ruggeri, autant "Odysseas" contient de larges et belles plages instrumentales dominées par la panoplie des claviers de Nik Comoglio et souvent agrémentées du vibraphone de Francesco Pinetti. 'Invocazione Alla Musa' qui ouvre l'album en est une parfaite démonstration, la muse invoquée étant certainement la même que celle qui inspira ELP pour un certain "Tarkus". Au côté des deux hommes, une pléiade impressionnante d'instrumentistes vient étoffer une partition foisonnante et inventive.
Il serait néanmoins erroné de penser que les vocaux sont absents de cet album. Toujours aussi théâtral et emphatique, démesuré mais parfaitement contrôlé et naviguant avec aisance sur une gamme impressionnante jusqu'à monter avec une apparente facilité (signe des grands) dans les aigus les plus vertigineux, le chant de Riccardo Ruggeri ne plaira sans doute pas à tout le monde mais est l'un des ingrédients indissociables du charme dégagé par Syndone.
Comment ne pas fondre avec le poignant 'Il Tempo Che Non Ho', un titre doux et triste comme un jour de pluie sur un paysage de campagne ? Ne pas être séduit par les mélopées arabisantes, la guitare orientale, puis la ballade rétro de 'Penelope' où, le temps de quelques mesures, le groupe nous ressuscite le Queen de 'You Take My Breath Away' ? Ne pas succomber au charme intrigant d'Ade', témoin d'une superbe osmose entre les instruments et le chant, celui-ci se fondant dans la musique avec fluidité dans un équilibre parfait ? Ne pas s'enthousiasmer de la grâce romantique de 'Vento Avverso' où l'expressivité de la musique stimule l'imagination pour faire naître une multitude d'images ? Ou enfin ne pas vibrer à l'hymne d'espoir qui s'élève sur 'Daimones' ?
L'introduction était enlevée comme il se doit pour accrocher l'auditeur, le final se fait consensuel et chaleureux. Délicat, sensible, varié, "Odysseas" fait voyager l'auditeur durant près de cinquante minutes au son d'une musique impressionniste et expressive, fluide et évolutive qui reste néanmoins suffisamment balisée pour ne pas se perdre dans les méandres d'improvisations fourre-tout et confirme Syndone dans son statut de groupe progressif majeur des années 2000.