Si je vous dis que "3" est le troisième album de Factor Burzaco, vous me répondrez sans doute, sidérés par tant d'imagination : "mais où vont-ils donc chercher toutes ces idées ?". Pourtant, ce n'est pas l'originalité qui manque à ce groupe argentin.
Car autant ne pas se le cacher, pour apprécier la musique de Factor Burzaco, il faut avoir un goût aventureux prononcé, une aversion chronique des mélodies, une rébellion caractérisée au carcan des chansons formatées, un profond sens de l'humour ou une maladie dégénérative des tympans. Ou peut-être bien tout cela en même temps. Mettez dans un shaker en proportions égales une dose de King Crimson (le grinçant, pas le mélodique), d'Art Zoyd, de Magma et de Stravinsky, ajoutez-y une pincée de Syd Barrett, secouez violemment pour obtenir une belle émulsion, servez frais dans un verre et saupoudrez le tout d'un nuage de Björk. Un cocktail étonnant et détonant que seuls les habitués pourront goûter sans friser l'apoplexie.
Après cette entrée en matière qui n'avait d'autre but que d'avertir l'auditeur du caractère peu conventionnel de cet album, qu'en est-il de la qualité ? Car peu importe le style, chaque catégorie contient son lot de chefs d'œuvre et de navets. Si globalement "3" peut être qualifié d'adjectifs tels que dissonant, expérimental et chaotique, la créativité de Factor Burzaco est telle que le groupe réussit à aborder différents styles, tous décalés mais bien distincts les uns des autres.
Allons du plus étrange au plus abordable. 'Transición Marimba/Asudepmal' 'Arnoldturro' et le long 'Silicio' sont d'excellents tests à votre patience. Sans mélodie, juste peuplés de notes confidentielles et sporadiques, de sons furtifs interrompus par des plages de quasi-silence, ces trois titres s'avèrent exigeants et difficiles à suivre malgré de beaux passages (les deux premières minutes contemplatives de 'Silicio' sont très réussies mais enregistrées tellement bas qu'il faudra pousser le volume pour distinguer quelque chose).
Plus conventionnels, si j'ose dire, 'La Vera Storia de Tristan', 'Inter Diccion' et 'Sogafunc' donnent dans le jazz rock ou la musique contemporaine, n'hésitant pas à détourner au passage des rythmes funk ou de bossa-nova, présentant un beau travail instrumental d'où se dégage une certaine beauté inquiète pour qui n'est pas rebuté par les dissonances (mention spéciale pour les instruments à vents sur le premier de ces trois titres).
Restent quatre titres mettant particulièrement en relief le timbre étonnant de Carolina Restuccia. Même si celle-ci intervient sur les titres déjà cités, sa voix est le vecteur principal et incontournable de 'Donde nos Habíamos Quedado', 'Evasion Imposible', 'LAS' et 'Soga'. Une voix acidulée, enfantine, lançant parfois de curieux jappements et miaulements et qui fait souvent penser à celle de Björk. Elle est accompagnée des choristes de The Nonsense Vocal Ensemble sur 'Soga', un a cappella façon Gentle Giant qui aurait pris des substances illicites, et sur 'LAS' où elle est particulièrement mise en valeur. Il se dégage de ce titre minimaliste une émotion angoissante d'une grande beauté grâce aux interventions d'une flûte délicate, des voix spectrales des choristes et de celle, très pure, de la femme-enfant.
Ce dernier titre, beau et abordable, ne cache pas la difficile accessibilité du reste de l'album. A vouloir être trop novateur, on en devient parfois élitiste et certains moments paraîtront bien longs à l'auditeur moyen. A réserver à un public averti et motivé.