Anasazi poursuit son petit bonhomme de chemin, sans faire de bruit, depuis maintenant 10 ans et sort son quatrième album en ce printemps. Intitulé '1000 Yard Stare', ce nouvel opus semble marquer un tournant dans la façon de travailler des grenoblois. Tout d'abord, si l'album est une nouvelle fois auto-produit, la production se professionnalise avec un travail de mastering confié à un spécialiste et l'effet est immédiat : le son de '1000 Yard Stare' est doté d'un brillant équilibre entre douceur et force. Ensuite, parce qu'Anasazi a fait appel aux fans pour financer la production et que donc, le travail n'est plus gratuitement offert au téléchargement même s'il reste disponible à l'écoute sur Bandcamp. Enfin parce que le groupe a trouvé plus de temps à consacrer à ce splendide projet musical ce qui lui a permis de se produire sur scène et donc de renforcer sa notoriété.
Sur la forme, ce cru 2013 est dans la lignée du précédent avec un artwork encore une fois soigné et original, véritable signature visuelle du groupe depuis quelques années. Le contenu est une nouvelle fois très riche avec 13 titres pour plus de 75 minutes de musique ! Chacun trouve sa place naturellement dans cet ensemble bien rodé. La voix de Mathieu Madani, chaude et sensuelle, a ce timbre si particulier qui nous embarque à chaque note. L'apparition fugace sur quelques titres de Delphine Polet vient apporter une touche féminine très bien intégrée (à renouveler certainement à l'avenir).
Pour le fond, pas de doute, on est bien en présence de progressif, du rock, du métal, de l'acoustique, du péchu, du popisant certes, mais du prog. Loin de s'enfermer dans un sous genre réducteur, Anasazi propose une palette musicale très riche. La première partie de l'opus est globalement orientée vers un métal progressif très catchy fait de riffs acérés et de développements entre soli virevoltants, rythmiques percutantes ("Drop Dead Silence" et "Ordinary Man"). La deuxième moitié est, quant à elle, rythmée par des titres plus pop aux mélodies plus légères et aux orchestrations moins viriles (l'entêtante "Then", l'acoustique "Mother" ou la power balade bluesy "The River"). Si certains titre ont l'étoffe de singles potentiels ("Underneath The Durt" ou "Legacy Of Fools"), "1000 Yard Stare" bénéficie quant à elle d'une construction progressive exemplaire de maîtrise de technique et de feeling avec une montée en puissance envoutante sur la fin qui constitue sans doute le point d'orgue de l'ensemble.
Seul bémol, certains titres dispensables comme la trop molle "One More Time" ou la trop longue "Runaway" (et dans une moindre mesure, la quelconque et doucereuse "Water's Edge") viennent plomber un peu le tableau. Dommage quand on considère la durée pachydermique de l'album que nos grenoblois n'aient pas choisi de se passer de quelques titres moins aboutis pour nous livrer un opus plus centré sur la qualité que sur la quantité. L'impression générale reste néanmoins très positive puisque ce "1000 Yard Stare" s'inscrit dans la lignée des meilleures réalisations de groupes tels qu'Anathema, Porcupine Tree, Pain Of Salvation voire Dream Theater dont le groupe revendique ouvertement des influences qu'il assimile parfaitement en imprimant à sa musique une touche toute personnelle désormais reconnaissable entre mille.
"1000 Yard Stare" est un album très riche de mélodies mélancoliques, d'ambiances subtiles et d'inspirations créatives. Il s'adresse en priorité à tous les amateurs de rock, de métal et rock progressif. Il est certainement l'album le plus passionnant d'Anasazi à ce jour car le groupe s'aventure sur de nouveaux terrains de jeux qu'il arpente avec la même réussite ajoutant une nouvelle corde à son arc susceptible d'accrocher un public très large. "1000 Yard Stare" peut être perçu comme l'album de la maturité (même si cette expression bien souvent galvaudée pourrait en refroidir certains) mais certainement comme l'album de l'épanouissement pour un groupe qui ne cesse de progresser.