Il est des groupes difficiles à étiqueter. Autant certains appartiennent à une catégorie musicale dont l'énoncé suffit presque à déterminer si cela vaut la peine ou pas de jeter une oreille sur leur production, autant d'autres sont tellement protéiformes que chaque titre semble appartenir à un groupe différent. Tel est le cas du trio suisse Rusconi (qui tient son nom de l'un de ses trois membres, Stefan Rusconi).
Si la curiosité vous pousse à faire une recherche sur ce groupe, vous trouverez essentiellement des mentions faites sur des sites de jazz. Pourtant, "History, Sugar, Dream" s'apparente par bien des côtés à un rock alternatif si l'on considère que ce genre couvre un spectre suffisamment large pour englober le rock expérimental et l'art rock. Dire qu'il s'agit d'un album de jazz rock alternatif expérimental semble être la définition la plus proche possible de la réalité. En décrire la substance est une gageure pour l'infortuné chroniqueur qui s'y essaye.
Tout commence par une courte chanson limite grunge dont la guitare acoustique et le chant apathique ont un faux air floydien. Premier contrepied avec 'Meditation', improvisation chaotique, voire anarchique, dans lequel une batterie débridée semble se désintéresser de ce que jouent les autres instruments pour n'en faire qu'à sa tête. Batterie bien plus disciplinée sur le titre suivant, 'Ankor', imprimant une rythmique jazzy avec l'appui de la contrebasse. Un titre qui permet de comprendre pourquoi Rusconi a les honneurs des webzines de jazz.
Le reste est à l'avenant. Chansons douces-amères ('Twisted', 'Change (Part One)', 'Chihiro's World') où un chant intemporel, fragile et touchant posé sur une mélodie bancale évoque le fantôme d'un Robert Wyatt, lui-même toujours juché sur une frontière impalpable entre jazz et rock. Musiques expérimentales et improvisées ('Yogia Trip', 'Universe Relocated') où des instruments très libres expriment leur émancipation avec virtuosité. Airs jazzy ('The Return Of The Corkies') qui ne peuvent s'empêcher de coller sur une structure classique des sonorités inventives. Et pour conclure, le morceau de bravoure, 'Sojus Dream', qui mélange le tout, commençant par un piano et une contrebasse très jazz, poursuivant par une guitare volage qui s'exprime à la façon d'un Carlos Santana, marquant le pas sur un break bruitiste et désaccordé pour finir sur les notes plaintives et de plus en plus évanescentes d'un saxophone non crédité renaissant sur un thème oriental où les "na-na-na" d'une voix haut perchée rappellent le rock canterburien de Hatfield & The North.
L'audace de Rusconi ne plaira pas à tout le monde, c'est certain. Et l'album n'est pas exempt de défaut, souffrant de quelques longueurs et moments creux. Mais "History, Sugar, Dream" fait partie de ces albums dont le dosage entre improvisations, trouvailles expérimentales et un relatif classicisme des trames mélodiques permet le juste équilibre nécessaire pour intéresser l'auditeur sans le perdre. Et lui insuffler des émotions bien agréables.