Rock progressif et heroic fantasy vont souvent de paire. Et parmi les écrivains d'heroic fantasy, J.R.R. Tolkien tient une place importante, lui qui, s'il n'a pas créé le genre, a largement contribué à le faire connaître du grand public au travers de ses romans "Le Hobbit" et surtout "Le Seigneur des Anneaux". Post mortem, son fils publie "Le Silmarillion", préquelle dans laquelle Tolkien raconte la genèse de la Terre du Milieu.
Le plus célèbre exemple d'influence de cette œuvre dans le microcosme progressif est celui du groupe anglais Silmarillion qui abandonna rapidement le préfixe "sil" pour devenir simplement Marillion. Moins connus, les italiens d'Ainur ont pris le nom des êtres qui, par le pouvoir de leur musique, créèrent le monde de l'univers tolkenien et se sont donné l'immense tâche de traduire musicalement la mythologie du Silmarillion.
Pour s'adonner à ce chantier titanesque, le groupe comporte la bagatelle de dix-huit membres. Aux côtés des traditionnels guitariste, claviériste, bassiste et batteur se tiennent pas moins de neuf chanteurs et huit pratiquants d'instruments à vent et cordes, certains cumulant plusieurs fonctions. Un projet ambitieux qui donne envie de jeter une oreille attentive à ce quatrième opus, reprenant en version acoustique certains titres de leurs trois albums précédents augmentés de trois nouvelles compositions ('Welcoming Of Eriol', 'Yavannas Song' et 'Lorien').
Comme souvent dans ce genre de tentative, l'ensemble est homogène au point qu'il est difficile de ressortir tel ou tel titre du lot. Un point à la fois positif par la cohérence de l'œuvre et négatif par la trop grande uniformité qui en résulte. La musique est certes très mélodieuse (point de dissonances au programme) et même parfois un peu mièvre, mais manque de ces saillies qui accrochent l'auditeur et le font frissonner. Certains morceaux sont trop propres sur eux pour être qualifier de rock et l'on a parfois l'impression de naviguer entre la comédie musicale "Roméo & Juliette", l'Aladdin" de Disney ou les "Parapluies de Cherbourg" de Michel Legrand.
Néanmoins, "The Lost Tales" n'est pas dépourvu de qualités. Si l'écriture inégale verse parfois dans la comédie musicale grand public, voire dans les moments les plus racoleurs de l'Eurovision, elle sait aussi prendre des faux airs de Fish par ses ballades écossaises ('The Fall Of Gondolin'), de Jethro Tull par son folk médiévalo-acoustique souvent ornementé de flûte, voire d'Ange au détour d'une gavotte ('Glaurung's Death') qui sonne comme celle de 'Les Noces' du dit groupe ou même de Kate Bush avec son ambiance feutrée et son violon mélancolique ('Lorien'). Tous ceux qui aiment les instruments acoustiques apprécieront à leur juste valeur les descentes vertigineuses du piano, les cascades cristallines de la harpe, le romantisme mélancolique des cordes et les interventions lumineuses de la flûte, du cor et de la clarinette. Enfin les nombreuses tessitures de voix, toutes justes dans leur registre, donnent une palette sonore d'une grande richesse.
Tout au long de l'écoute de cet album, l'auditeur oscillera donc entre l'agacement provoqué par la mièvrerie surannée de certains morceaux et le ravissement ressenti lors de l'exécution de certains traits. Le va-et-vient entre ces deux sentiments générant une impression finalement assez mitigée, entre plaisir et ennui.