Il y avait de quoi s'inquiéter durant les cinq années qui ont suivi "Steel Wheels", un album pourtant rassurant quant à la santé artistique des Rolling Stones. C'est tout d'abord Bill Wyman qui a décidé de mettre les voiles, étant ainsi le premier membre historique à quitter le groupe. Sur les conseils de Charlie Watts, il remplacé par Darryl Jones (Sting, Miles Davis, Eric Clapton), sans que ce dernier ne puisse obtenir le statut de membre à part entière. Puis ce fut Keith Richards qui décida de se consacrer à un album solo ("Main Offender" – 1992), suivi de près par Mick Jagger ("Wandering Spirit" – 1993). Les relations étant de plus en plus tendues entre les deux leaders charismatiques, les spéculations ont commencé à enfler jusqu'à ce que le groupe se retrouve autour du producteur Don Was pour enregistrer son 20ème album (22ème pour le marché US), un opus intitulé "Voodoo Lounge" en l'honneur d'un chat errant sauvé par Keith Richards à la Barbade et ayant élu domicile sur la terrasse du guitariste.
Passés ces détails historiques qui ne sont pas sans importance, il est alors temps de se concentrer sur le contenu de ce nouvel opus pour lequel Don Was a dû faire preuve d'une grande diplomatie. Décidé à ramener les Rolling Stones vers des sonorités en rapport avec leur passé, il a également fallu qu'il gère les conflits à répétitions entre Jagger et Richards, le premier souhaitant sans cesse se rapprocher de choses plus tendance alors que le second était partie prenante pour revenir aux racines du groupe. Au niveau du son, la patte de Was est indéniable. Plus rock, efficace et claire, la production met chaque instrument en valeur, en particulier la batterie de Watts, prouvant au passage la finesse et la technique du membre le plus discret du groupe ('Moon Is Up', 'Suck On The Jugular').
Avec 15 titres au compteur, "Voodoo Lounge" démarre sur les chapeaux de roue avec une énergie inespérée et un sens de l'accroche imparable. Rappelant le 'Wicked As It Seems' de Keith Richards, 'Love Is Strong' ouvre les hostilités sur une note groovy, relayé par le direct et irrésistible 'You Got Me Rocking' suivi de 'Sparks Will Fly', morceau qui s'est s'inspiré d'un accrochage entre Keith Richards et Jerry Lee Lewis. Invité à venir jouer, ce dernier avait commencé à vouloir diriger les musiciens de Richards qui lui avait rapidement fait connaitre son mécontentement avec toute la diplomatie qui peut être la sienne.
La suite voit le groupe visiter plusieurs domaines qui lui sont familiers. Les balades sont pour la plupart très réussies telles 'Out Of Tears', délicat et émouvant ou 'Blinded By Rainbows' et son subtil équilibre entre sérénité et émotion. Les rock sont directs et efficaces ('I Go Wild') et quelques tentatives d'évolutions plus modernes imposées par Jagger réussissent à se glisser dans la tracklist comme 'Suck On The Jugular' à la frontière du R'nB, alors que Keith Richards pose sa voix passée au papier de verre sur deux titres.
Au final, s'il n'est pas le meilleur album des Rolling Stones, "Voodoo Lounge" n'en est pas moins une réussite indéniable. Parfaitement gérés Don Was, Richards et Jagger prouvent une fois de plus quels formidables compositeurs ils sont et à quel point l'alchimie explosive qui existe entre eux est unique. Solidement attaché à ses racines sans s'enfermer dans un conservatisme stérile, voici un album qui sera sans aucun doute un nouvel incontournable de la discographie de ce groupe légendaire.