Existe-t-il encore quelqu'un sur la planète progressive qui n'ait pas entendu parler de Gong ? Ce groupe mythique a traversé les décennies en conservant sa fraicheur et un style bien personnel dont la quintessence se retrouve déjà en 1974 sur l'excellentissime "You".
Leader incontesté du groupe, l'australien Daevid Allen fait preuve à 75 ans d'un dynamisme et d'une créativité dont nombre de jeunes formations contemporaines feraient bien de s'inspirer. Certes, il le fait avec sa patte aisément reconnaissable et ne se réinvente pas lui-même, mais la source de son inspiration fantaisiste est loin d'être tarie. On retrouve avec délice ce chant si caractéristique à la limite du parlé, fait de petites phrases hachées énoncées le plus souvent d'un air enjoué et tendrement ironique qui fait monter le sourire aux lèvres, ces airs jazz-rock-psyché-atmo-expérimentaux où les musiciens nous font le plaisir de montrer l'étendue de leur talent sans démonstration inopportune.
Les mélodies sinueuses qui ne perdent pourtant jamais l'auditeur sont un vrai paradis pour tous ceux qui sont fatigués des mélodies préformatées, des groupes de progressif qui ne progressent plus et ne font plus progresser la musique. Ici l'aventure est au détour de la moindre mesure, on passe sans avertissement du rire aux larmes, de la délicatesse trompeuse d'une flûte au délire schizophrénique d'un sax ou d'une guitare. Que ce soit dans un style "sérieux", canterburien ('When God Shakes Hands With The Devil'), crimsonien ('Occupy' qui ressemble à la fusion improbable de King Crimson, VDGG et Yes), psychédélique zen ('Zion My T-Shirt') ou fantaisiste façon Gong, jazz rock décalé ('I See You'), chanson de feu de camp ('Syllabub') ou comptine pour enfants ('Pixielation'), le groupe nous embarque dans son délire musical pour notre plus grand bonheur.
Seule ombre légère au tableau, en voulant être trop généreux Gong brise un peu l'ambiance magique avec ses deux longs derniers titres. 'Thank You' s'avère plus répétitif qu'imaginatif et 'Shakti Yoni & Dingo Virgin', succession de gémissements et soupirs langoureux poussés par une voix féminine sur des sons étirés, un peu évanescent.
"I See You" aurait tout aussi bien pu prendre fin sur 'A Brew Of Special Tea', ce qui aurait ainsi préservé l'extraordinaire alchimie dégagée par l'album. Néanmoins, les deux derniers titres ne sont pas mauvais, juste un cran en-dessous du reste. Et puis, rien ne vous empêche de les zapper et de vous reprendre une part de bonheur en réécoutant l'album !