Unique album de Weakling, "Dead as Dreams" est un peu au black metal ce que "Even as All Before Us" de The Gault sera cinq ans plus tard au doom : un édifice monumental d’une vertigineuse tristesse qui propulse le genre auquel il s’arrime dans une dimension inconnue, presque inhumaine. Cette proximité s’explique par la présence de l’immense John Gossard, guitariste et chanteur respecté au sein de la scène extrême de Frisco pour transformer tout ce qu’il touche en un alliage précieux, beau et terrifiant, à l’image de son travail avec Asunder également.
Aujourd’hui, Weakling n’existe plus. Mais cet opus a néanmoins suffit à le placer au panthéon du black metal américain. En plus d’une heure et quart et seulement cinq pistes, "Dead as Dreams" redéfinit à lui tout seul les règles du genre. Ni suicidaire ni progressif mais un peu des deux à la fois et ne devant aucun tribut à quiconque, il aurait pu être une œuvre visionnaire, en avance sur son temps, ce qu’elle est. Pourtant, aucun autre groupe, aucun autre disque, n’ont réellement tenté de creuser un sillon identique, faisant de lui un objet isolé et rare. Rare en cela qu’il développe une trame qui phagocyte l’espace et échappe à toute vaine tentative de description.
Les cinq échappées déroulent leurs ambiances, leurs ramifications sur des durées parfois très longues (plus de 20 minutes au compteur pour le titre éponyme !), architecture colossale qui les rend tout à la fois épiques et labyrinthiques. De fait, appréhender "Dead as Dreams" dans sa globalité se révèle difficile. C’est toutefois de cette manière, et de cette manière uniquement, que celui-ci pourra livrer tous ses trésors tapis dans les recoins sombres de ses arcanes.
En dépit de leur durée, ces morceaux conservent une densité absolue qui courent le long d’une colonne vertébrale d’où ruissèle un sentiment d’inexorabilité. Noirs comme le charbon, profonds comme un gouffre sans fin, ce sont des monstres aux dimensions cyclopéennes d’où jaillit une mélancolie au goût de terre et cendres. Le chant est possédé ('Cut their Grain and Place Fire Therein'), les guitares, à la fois belles comme chat qui dort ('This Entire Fucking Butterfield' et son final jouissif), heavy ('Desasters in the sun') et ténébreuses, perforent cette croûte épaisse, granuleuse, par des riffs au bord de la rupture.
La seconde partie de 'No One Can Be Called as a Man While Hell’s Die', où le temps paraît figé, suspendu, atteint à ce titre des sommets de tristesse justifiant à eux seuls l’achat de cet album. Dans ces accords rongés par un mal être infini, on trouve plus d’âme que dans les discographies complètes de tous misanthropes du dimanche façon Striborg et compagnie.
"Dead as Dreams" possède la particularité de cultiver un temps qui lui est propre et qui n’est pas celui que l’on rencontre habituellement dans le genre, un temps où se rejoignent des aplats d’une lenteur à l’agonie et des cavalcades qui avalent la surface noire d’étendues dévastées par la mort ('Desasters in the Sun'). Dommage qu’à l’instar de tous les projets auxquels prend part John Gossard, Weakling ait été si éphémère. Heureusement, Dispirit, son nouveau projet semble en être le digne héritier...